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Quand les sportifs prennent la parole

Kylian MBappé, le 16 juin 2024, lors d’une conférence de presse, demande à la jeunesse d’aller voter aux prochaines législatives.

Avec l’émergence des réseaux sociaux, le public s’est habitué aux déclarations de personnalités publiques lors d’événements majeurs. Ainsi, les athlètes ne se taisent plus et réagissent à l’actualité auprès de leur communauté ou de la presse. Ce qui provoque parfois de nouvelles polémiques.
Par Arthur CHARLIER et Jules BOURBOTTE
Le 16 juin, à la veille d’entrer dans l’Euro, Kylian Mbappé appelle les jeunes à aller voter aux prochaines législatives, évoquant une urgence pour le pays. « J’ai envie d’être fier de porter ce maillot le 7 juillet », précise-t-il. Le même jour, des sportifs de haut niveau signent une tribune sur le site de L’Equipe appelant à voter contre le Rassemblement national. Les jours précédents, Marcus Thuram et Ousmane Dembélé avaient appelé eux aussi à barrer la route au RN.

Sur les réseaux sociaux, les réactions peuvent être assez négatives. Selon l’institut CSA cité par MSN, « 49% des Français se sont dits choqués par ces prises de position politiques ». Les 50-64 ans seraient les plus agacés par la démarche.

Cette réaction n’est pas nouvelle. « Joue et ferme ta gueule. » C’est, en ne grossissant que très peu le trait, ce qui aurait pu être entendu en France à la suite de la prise de parole d’un sportif il y a moins d’une dizaine d’années.

Ces prises de positions sont pourtant aujourd’hui une réaction attendue lorsqu’un événement majeur vient bouleverser l’actualité. Et ce sont les réseaux sociaux numériques qui ont donné à chacun une tribune pour exprimer un avis à qui veut l’entendre. Ajoutez à cela une généreuse couche de popularité sans oublier de saupoudrer d’opinions et d’un soupçon de contradictions ; et voici la page X (anciennement Twitter) typique du sportif engagé !

Guerre en Ukraine, mort de Nahel, offensive du Hamas sur Israël, législatives, les occasions n’ont en effet pas manqué ces derniers temps pour faire réagir. Au début de l’année, le 21 janvier 2024. Le gardien de but français du Milan AC, Mike Maignan, a été victime de cris racistes en Italie. La réaction des athlètes ne s’est pas fait attendre. Kylian Mbappé, en chef de file, a pris la défense de son collègue français via la plateforme X.

Coutumier du fait, l’ex-attaquant du Paris Saint-Germain ne ménage pas ses sorties et n’hésite pas à prendre position en faveur d’une cause ou pour dénoncer un fait d’actualité. Ainsi, après la mort de Nahel, en juin 2023, il avait, via un post sur X, dénoncé la mort du jeune homme tué lors d’un contrôle de police à Paris.

Acclamations d’un côté, tollé de l’autre, les prises de positions sont par définition clivantes mais le fossé semble s’approfondir lorsque les sportifs s’emparent de l’actualité. Quelques mois plus tard, c’est Thomas qui est tué dans une rixe en marge d’une soirée dans son village de Crépol. L’affaire est récupérée par l’extrême droite. Il est alors massivement reproché à Mbappé de ne pas avoir dénoncé la mort du jeune homme. Les internautes ont même utilisé les propos du joueur qui qualifiait Nahel de « petit ange » mais en référence à Thomas cette fois. Le tout accompagné de suspicion vis-à-vis de Nahel, et d’une malveillance certaine.

Ce cas particulier illustre ce que provoque la prise de parole des sportifs et notamment sur les réseaux sociaux. Ceux-ci peuvent mettre en lumière des situations inhumaines en s’appuyant sur la force d’une communauté. Pas méprisantes, ces réactions supposent une prise de position, mais sont parfois accompagnée d’un jugement biaisé, erroné ou trop hâtif.

Une aura particulière

De fait, les sportifs ne sont pas spécialistes des sujets dont ils s’emparent. Travers de l’époque mais aussi de la logique même du réseau social, le public découvre puis s’habitue à ces nouvelles prises de position et finit même par les réclamer. Il n’est pas rare de voir des reproches adressés à une personnalité parce qu’elle n’a pas pris parti sur d’un fait d’actualité déjà disruptif.

Les sportifs n’ont pas attendu l’émergence des réseaux sociaux pour s’emparer de sujets d’actualité et exprimer, parfois de manière très forte, une opinion.

Prochain évènement sportif majeur accueilli par la France, les jeux Olympiques de Paris 2024 ont déjà été la cible de nombreuses critiques de la part de sportifs.La judokate Amandine Buchard s’est plainte du prix des billets pour les JO. Teddy Riner, indéniablement un des plus grands sportifs français de l’histoire, a rejoint et soutenu les propos du nageur Florent Manaudou sur France 2 pour qui « la France n’est pas un pays de sport ». Une critique qui a fait réagir sur divers réseaux sociaux.

Les sportifs, lors de leur prise de position sur les réseaux sociaux, bénéficient d’une aura particulière attribuée par le public. Ils ne sont (presque) que jugés sur leurs performances intrasportives contrairement à toutes les autres personnalités qui prennent la parole.

Réalisé par Arthur CHARLIER/EPJT

En plus de rassembler de très larges communautés, pour les plus populaires, les athlètes sont majoritairement perçus comme abordant les sujets avec plus de simplicité (en comparaison à une personnalité politique ou médiatique), presque de manière binaire, ce qui facilite la compréhension d’un sujet par des publics pas non plus spécialistes.

Mais ces interventions encouragent, même involontairement, des réactions de la part de ces mêmes publics. Le caractère souvent binaire de la présentation des faits (en général « pour ou contre » quelque chose) entraîne aussi une polarisation des opinions. Ce qui rend ces sujets plus clivants qu’ils ne l’étaient au départ.

Des conséquences parfois irréversibles

Ces mécanismes sont encouragés par l’économie de l’attention mise en place sur les réseaux sociaux et qui hiérarchise les créateurs de contenus en fonction du taux d’interaction mais aussi du temps que le public passe sur les contenus créés. Sur le papier, cela paraît vertueux.

Mais certaines prises de positions peuvent avoir des conséquences irréversibles. Colin Kaepernick n’a jamais retrouvé de club professionnel de football américain en NFL après son geste en soutien aux victimes de violences policières aux États-Unis en 2016. Début 2024, le footballeur niçois, Youssef Attal, a été condamné à huit mois de prison avec sursis ainsi qu’à une amende de 45 000 euros pour avoir relayé sur les réseaux sociaux une publication haineuse et antisémite suite des bombardements israéliens sur Gaza.

Le retour de bâton peut être violent et à double détente : les sportifs sont exposés aux mêmes conséquences légales que tout un chacun mais ils peuvent également subir les pressions de leur milieu. Les clubs et structures redoublent souvent de sévérité avec leurs effectifs lorsqu’une polémique est provoquée par une initiative personnelle de l’athlète. De ce fait, on peut considérer que leur engagement est réellement courageux.

Dans le cas de Kylian Mbappé, il y a peu de chance qu’il soit sanctionné. Si la Fédération française de foot a pris ses distances avec les déclarations de ses joueyrs, Didier Deschamps s’est contenté de déclarer : « Il faut reconnaître que ce sont des footballeurs, mais avant tout des citoyens. Ils ne sont pas en dehors de la situation que vit la France. Je n’ai pas de conseils à donner à mes joueurs. Ils viennent avec leurs mots et leur propre sensibilité. » Mais il serait préférable que leur Euro soit réussi.

Pour aller plus loin

  • « J’ai mal à ma France » : Kylian Mbappé s’indigne après la mort de Nahel. Leparisien.fr
  • Mort de Nahel M. : Kylian Mbappé et les Bleus appellent à la fin des émeutes. lemonde.fr
  • Ces sportifs qui dérapent sur les réseaux sociaux, Ouest France
  • Législatives 2024 : plus de 160 sportifs signent une tribune pour appeler à voter « contre l’extrême droite » FranceInfo.fr
  • Législatives : Kylian Mbappé « appelle tous les jeunes à aller voter », car « les extrêmes sont aux portes du pouvoir », Franceinfo.fr
  • Législatives: les sportifs et artistes peuvent-ils exprimer leurs opinions politiques? sur MSN
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