FRANÇOIS FILLON

« Chaque année, près de 17 000 policiers et gendarmes sont blessés en mission et en service »

Selon François Fillon, candidat Les Républicains (LR) à la présidentielle, 17 000 policiers et gendarmes sont blessés chaque année. L’ancien Premier ministre l’a affirmé par deux fois, ce 15 février, lors d’une réunion publique, puis lors de son meeting à Compiègne. Mais selon les chiffres établis par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), François Fillon contextualise le nombre de blessés de façon maladroite.

 

LE CONTEXTE

Depuis l’interpellation du jeune Théo, à Aulnay, et les manifestations qui en ont découlé, la classe politique est divisée sur le discours à adopter. Ce 15 février en meeting à Compiègne, François Fillon a argué que « la justice devra sanctionner les policiers s’ils ont fauté », mais s’est montré beaucoup plus ferme en ce qui concerne les manifestations contre les violences policières qui ont vu le jour dernièrement : « Rien n’autorise les émeutes, rien ne les autorise à agresser les forces de l’ordre ». Pour justifier sa déclaration, le candidat LR a fait le lien avec des statistiques pour le moins imprécises, selon lesquelles, chaque année, « 17 000 policiers et gendarmes sont blessés en mission et en service et une dizaine d’entre eux trouvent la mort ».

 

 

L’EXPLICATION

La première erreur de François Fillon est de vouloir additionner le nombre de blessés dans la police et dans la gendarmerie. « Les outils de recensement ne sont pas comparables entre les deux institutions, même si nous travaillons actuellement à une harmonisation des techniques de chiffrage », explique Vincent Delbecque, statisticien à l’Observatoire de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP), joint par Factoscope.

La police, elle, compte automatiquement tous ses blessés. En 2015, selon les chiffres de l’ONDRP, qui se base sur les données de la Direction générale de la Police nationale (DGPN), 12 388 policiers ont donc été blessés.

La gendarmerie procède autrement. Dans son comptage pour l’année 2015, la Direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN) recense 6 854 gendarmes victimes de 3 019 agressions physiques. « Parmi ce nombre, tous les fonctionnaires ne sont pas forcément blessés », nuance la DGGN, contactée par Factoscope. Toujours selon le rapport de l’ONDRP, il y a eu 1 807 gendarmes blessés en 2015. Mais ces chiffres reposent sur le nombre de procédures « EVENGRAVE » engagées par les fonctionnaires. Autrement dit : tout fait mettant en cause, comme auteur ou victime, un personnel militaire ou civil dans une affaire susceptible d’avoir des conséquences au plan pénal et qui doit être engagée entre 3 heures (en heures ouvrables) et 6 heures (en heures non ouvrables) après la connaissance des faits. Ce processus ne permet pas d’établir un recensement précis. En effet, comme le précise l’ONDRP, tous les faits commis et portant atteinte aux militaires de la gendarmerie ou à l’institution ne font pas l’objet d’un message « EVENGRAVE ». Le périmètre des données disponibles est donc limité.

En revanche, sur le nombre de décès, François Fillon a raison. Si la police et la gendarmerie ont déploré 7 morts en 2015, 10 de leurs fonctionnaires ont perdu la vie en 2012 et 2013, et 11 en 2014.

Une augmentation en 2016

François Fillon aurait-il eu connaissance du rapport de 2016 pour avancer ce chiffre de 17 000 policiers et gendarmes blessés ? De son côté, l’ONDRP avoue qu’elle n’a pas encore en sa possession le recensement des deux institutions. La DGPN, contactée par Factoscope, explique quant à elle qu’en juin 2016, date à laquelle sont établis les derniers chiffres provisoires, près de 6 500 policiers avaient été blessés en mission et en service. « En moyenne, il y a eu 544 fonctionnaires blessés en mission entre janvier et juin 2016 », détaille l’institution. Un nombre en hausse par rapport aux années précédentes à la même période, notamment en raison des opérations de maintien de l’ordre à Calais et au cours des manifestations contre la loi travail. De son côté, la Gendarmerie nationale n’a pas de chiffres provisoires à communiquer. Il n’existe donc pour le moment aucun rapport rendu public qui permette de dire qu’il y a eu 17 000 policiers et gendarmes blessés pour l’année passée (contre un peu plus de 14 000 au total en 2015), malgré une augmentation certaine due aux événements de 2016.

Ce que M. Fillon n’explique pas…

Par ailleurs, vouloir mettre en parallèle les « émeutes » et le nombre de policiers est quelque peu maladroit. François Fillon évoque des blessures « en mission et en service » sans pour autant expliquer ce que cela signifie. Selon l’ONDRP, les décès ou blessures en mission surviennent « soit en opération de police, soit en service commandé, au cours desquels le fonctionnaire met en œuvre les prérogatives attachées à sa fonction » et les décès ou blessures en service surviennent « pendant les heures de travail de service ou sur le trajet domicile-travail ».

Selon le rapport de l’ONDRP en 2015 sur les forces de police, 5 674 fonctionnaires se sont blessés en mission et 6 714 se sont blessés en service. Une blessure en service résulte de divers cas de figure qui n’ont rien à voir avec des affrontements lors d’une manifestation ou d’émeutes. Elle peut être causée par un mauvais maniement de l’arme lors d’un entraînement, par un accident de la circulation sur le trajet qui sépare le domicile du lieu de travail ou encore par une séance à la salle de sport.

Lorsqu’un policier est envoyé sur le terrain lors d’une manifestation dans l’espace public, il est en mission et non pas en service. Or, la majeure partie des blessés dans la Police nationale le sont en service, souvent en raison d’un incident tout à fait inopiné. Il est donc délicat de faire un rapprochement entre le total de blessés dans la police et les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre qui ont lieu ces derniers jours.

Antonin Deslandes