MARINE LE PEN

« Les Britanniques, avec le Brexit, peuvent se féliciter de la forme insolente de leur croissance »

Lors de son meeting du 5 février à Lyon, Marine Le Pen a fait l’éloge du Brexit et de ses conséquences sur la croissance au Royaume-Uni. Elle a évoqué « les Britanniques, qui ont choisi la liberté avec le Brexit, et qui chaque jour, peuvent se féliciter de la forme insolente de leur croissance ». D’après les données publiées par l’Office for national statistics, l’institut national des statistiques au Royaume-Uni, l’analyse de la présidente du Front national se révèle être imprécise. Il est encore trop tôt pour conclure que la sortie programmée de l’Union européenne a d’ores et déjà un impact positif sur l’économie outre-Manche.

 

LE CONTEXTE

Marine Le Pen a choisi Lyon, dimanche 5 février, pour lancer officiellement sa campagne et présenter ses 144 engagements présidentiels. Lors de ce meeting, la candidate du FN a largement défendu le patriotisme tout au long de son allocution, notamment face à la mondialisation : « Personne de raisonnable ne veut faire de la France le cobaye d’une mondialisation qui ne sera heureuse que pour la caste. Personne ne peut accepter l’asservissement économique et politique qu’elle nous prépare. Les autres peuples ont montré la voie : les Britanniques qui ont choisi la liberté avec le Brexit, et qui chaque jour, peuvent se féliciter de la forme insolente de leur croissance. »

Elle continue son énumération en prenant les exemples du rejet du référendum sur la réforme de la constitution par les Italiens, les Grecs qui envisageraient « à nouveau de sortir de l’euro », les Autrichiens qui « ont éliminé de la présidentielle, au premier tour, les partis traditionnels » ou encore les Américains qui « ont fait le choix de leur intérêt national ». Toutefois, si les indicateurs de croissance sont au vert pour le Royaume-Uni après le vote en faveur du Brexit (voté en juin dernier ndlr), cela ne permet pas d’en tirer de véritables conclusions.

 

L’EXPLICATION

Le Royaume-Uni en pleine croissance depuis le Brexit ? Il est encore trop tôt pour le dire. D’après l’Office for national statistics, la croissance britannique a commencé à augmenter quelques mois avant le Brexit. En effet, dès le deuxième trimestre 2016, autrement dit dès le mois d’avril, soit deux mois avant le référendum qui a décidé de la sortie de l’Union européenne, elle est passée de 0,3 % à 0,6 %. Puis elle s’est ensuite stabilisée à 0,6 % lors des deux derniers trimestres de l’année.

De plus, si la croissance annuelle outre-Manche a légèrement augmenté en 2016 pour atteindre les 2 %, elle était toutefois en baisse par rapport aux années précédentes. En effet, elle s’élevait à 3,1 % en 2014 et à 2,2 % en 2015.

Pour Pauline Schnapper, professeure de civilisation britannique et dont les recherches portent sur le Royaume-Uni dans la mondialisation, les conséquences du Brexit ne seront visibles qu’une fois le Royaume-Uni sorti de l’UE. Crédit : DR.

Par ailleurs, le Brexit n’est pas encore effectif. Sa mise en relation avec une croissance florissante n’est donc pas justifiée pour le moment. « Les Britanniques ne sentent pas encore les conséquences économiques du Brexit. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’impact économique dans les années qui viennent, loin de là », argumente Pauline Schnapper, professeure de civilisation britannique à l’Université Paris 3 à la Sorbonne Nouvelle et dont les recherches portent sur le Royaume-Uni dans la mondialisation.

 

Le Brexit ne sera pas effectif avant 2019

Le Fonds monétaire international (FMI), qui a rendu ses prévisions publiques le 4 octobre 2016, anticipe même une baisse de la croissance du Royaume-Uni en 2017. Cette croissance se situerait alors autour de 1,1 %. L’impact du référendum pourrait donc, à moyen terme, s’avérer négatif. « Maintenant que l’on sait qu’il va y avoir le hard Brexit, c’est-à-dire que le Royaume-Uni ne restera pas dans le marché unique, il est vraisemblable que les investisseurs étrangers vont réfléchir à deux fois avant de mettre de l’argent dans l’économie britannique. Ils vont plutôt choisir d’investir ailleurs. Les impacts seront surtout visibles une fois que le Royaume-Uni sera vraiment sorti de l’Union européenne, c’est-à-dire pas avant 2019 », ajoute Pauline Schnapper. Si la professeure de civilisation britannique à l’Université Paris 3 apporte un éclairage, cela ne reste cependant qu’un point de vue parmi d’autres sur la question.

 

 

Enfin, Marine Le Pen ne mentionne pas, lors de son meeting, que les prix sur les produits de la consommation augmentent depuis le Brexit. Si l’indice des prix à la consommation a augmenté légèrement avant le référendum, la hausse s’est accentuée dès le mois de septembre 2016 (1 %) pour atteindre, en décembre dernier, 1,6 %. Sans parler de la baisse de la livre sterling. La monnaie britannique a commencé à perdre de sa valeur durant l’été suivant le référendum, puis la chute s’est accélérée pour arriver fin septembre à une perte de valeur de 20 %. « Comme la livre est plus basse, les importations coûtent forcément plus cher. Or, le Royaume-Uni importe beaucoup de produits de grande consommation que ce soit de la nourriture ou des vêtements par exemple. Les consommateurs vont commencer à sentir les effets de cette baisse de la livre », précise Pauline Schnapper.

Le FN n’a pas répondu à nos sollicitations, notamment pour savoir sur quelles données Marine Le Pen s’appuyait pour déclarer que la croissance britannique était florissante depuis le Brexit, ce qui est manifestement faux. En outre, si Marine Le Pen n’a pas tort en affirmant que la croissance outre-Manche se porte bien, elle oublie de préciser que le Brexit n’est pas encore effectif et que les conséquences économiques ne seront véritablement visibles que lorsque le Royaume-Uni sera sorti de l’Union européenne.

Apolline Merle

Les sources à consulter

        • Office for national statistics, Statistical bulletin, « Gross domestic product, preliminary estimate : Oct to Dec 2016 »
        • Office for national statistics, Time series, « CPI : Consumer Prices Index (% change) »
        • Office for national statistics, « Dashboard : Assessing the UK post-referendum economy »
        • FMI, Etudes du FMI, « Le FMI prévoit une croissance mondiale modérée et avertit que la stagnation économique pourrait alimenter les appels au protectionnisme »