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Festival de Cannes

Quand l’écologie s’invite à la fête

Photo : Hermann Traub/Licence CC

Tapis rouge, stars de cinéma et paillettes : chaque année, le Festival de Cannes rayonnent. Depuis 2021, ses acteurs tentent de renvoyer une image verte du milieu cinématographique. Beaucoup de communication pour un résultat limité.
Par Tom Demars-Granja et Roméo Marmin
L’année 2021 est considérée, par les organisateurs du Festival de Cannes comme charnière. Avec un objectif clair : faire de l’événement un exemple de transition écologique. En avril de cette année-là, en effet, Pierre Lescure et Thierry Frémaux, à l’époque respectivement président et délégué général du festival, déclaraient : « Le pari est immense mais nous voulons et devons le réussir, chaque année un peu plus, chaque année un peu mieux. Aujourd’hui, nous franchissons une étape importante avec une grande ambition. Nous en rendrons compte régulièrement, de façon concrète. La 74e édition sera celle du monde d’après pour un Festival de toujours. »

Les deux hommes introduisaient ainsi douze mesures mises en place dès l’édition 2021 : deux fois moins de tapis rouge utilisés, suppression totale des bouteilles d’eau en plastique sur l’ensemble du festival ou encore utilisation d’une flotte de voitures officielles composée à 60 % de véhicules électriques ou hybrides, etc.

Infographie : Roméo Marmin/EPJT

Une contribution environnementale de 24 euros a également été demandée aux festivaliers. Cela a permis de récolter plus de 1,3 million d’euros lors des éditions 2021 et 2022. Cette somme est reversée à plusieurs projets en faveur de la protection environnementale. C’est ce qu’on appelle le crédit carbone : pour compenser la pollution émise, on se dédouane en finançant des projets écologiques.

La compensation peut sembler dérisoire au regard du budget annuel du festival, d’environ 20 millions d’euros. D’autant que certains sponsors de l’événement ont un bilan environnemental assez lourd. C’est le cas notamment de Nestlé et de BMW. Pour palier le problème, le festival a recours au crédit carbone

Tous les programmes financés par le Festival de Cannes et par la taxe carbone sont disponibles sur une page dédiée du site du festival : boisement de terres agricoles, restauration du littoral méditerranéen… et la préservation d’une forêt autour du lac Kariba, au Zimbabwe.

Or le site d’investigation Disclose a publié une enquête mercredi 17 mai 2023 sur les projets écologiques financés par le festival. Elle mentionne le cabinet suisse South Pole, spécialisé dans la vente de crédits carbone à différents clients, dont le Festival de Cannes. La contribution écologique de 380 000 euros fournie par le festival pour préserver la forêt devait permettre de compenser 42 millions de tonnes de CO2. Un chiffre largement surestimé, car la réalité se situe autour des 15 millions, soit « près de trois fois moins que ce que prétendaient les consultants » précise le site.

Autre initiative, une sélection éphémère de sept films, « Le cinéma pour le climat », avait été mise en place lors de l’édition de 2021. L’expérience n’a pas été reconduite. Toutefois, le prix Ecoprod revient en 2023, pour une deuxième édition. Ce prix a été créé par le collectif éponyme. Il vise à sensibiliser les acteurs de l’audiovisuel et du cinéma à leur impact environnemental. Il récompense les équipes de tournage ayant mis en place des démarches écoresponsables.

Un salon pour la vente de films

Selon un article publié dans le magazine Geo, les riverains se plaignent de la nuisance sonore créée par les allers-retours de jets privés et de yachts. L’AFP s’est penchée sur l’augmentation des mouvements d’avions (atterrissages et décollages) sur la période du Festival de Cannes 2018 : 54 mouvements quotidiens, 1 700 pour tout le mois de mai. Soit presque autant que sur la totalité des vacances d’été, où sont enregistrés 2 000 mouvements.

Le festival n’est pas uniquement une compétition internationale de film. C’est aussi un salon important pour la vente, la production et la distribution de films. Distributeurs, producteurs, scénaristes, réalisateurs et communicants profitent de l’événement pour négocier les conditions de sortie de futurs longs-métrages dans de nombreux pays.

Lors de la conférence de presse où il avait présenté les mesures écologiques de l’édition 2019, Thierry Frémaux ne se faisait pas d’illusions sur les difficultés à surmonter pour atteindre la sobriété énergétique. Notamment en ce qui concerne les allers-retours des invités. « Est-il vraiment nécessaire qu’un producteur américain prenne l’avion pour signer son contrat à Cannes ? Pour le moment, je pense que oui », avait-il notamment déclaré.

Infographie : Tom Demars-Granja

Projets de compensation carbone surestimée, noria d’avion et de yachts… on s’interroge sur la réelle volonté écologique du festival concernant l’événement. Surtout quand les organisateurs laissent Tom Cruise atterrir, en 2022, en hélicoptère sur la croisette. Des partenariats avec YouTube et TikTok ont aussi été officialisés. Problème : la consommation de vidéos en ligne émet près de 1 % des émissions mondiales de CO2 (selon le think thank The Shift Project).

Si des initiatives existent, certes, des changements significatifs se font attendre au sein de l’industrie cinématographique. Le Festival de Cannes ne déroge pas à la règle. Surtout que, à plus petite échelle, des modèles alternatifs se développent. Le Festival du film vert se tient par exemple dans 90 villes différentes à travers le monde. Y sont diffusés des documentaires rendus disponibles pour l’occasion.

Autre modèle, le Festival atmosphères, qui a lieu annuellement dans la commune de Courbevoie, en France. Les programmateurs y organisent – en plus de la projection de 20 fictions et documentaires en avant-première – des conférences. Un village expérimental est créé où sont mises en pratique les pistes écologiques abordées tout au long du festival.

Au vu de ses moyens et de son influence, le Festival de Cannes doit, à son tour, revoir sa politique environnementale.

 

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