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Guerre contre les maras au Salvador

Une remise en cause de l’état de droit
Le président Nayib Bukele se présente comme chef de guerre dans sa croisade contre les « maras ». Photo : Casa Presidencial El Salvador.
Depuis mars 2022, le gouvernement salvadorien est entré dans une guerre ouverte avec les maras. Ces gangs font l’objet d’une répression féroce et d’arrestations arbitraires. Une solution radicale initiée par le président Nayib Bukele qui fait craindre une dérive autoritaire du régime.

 

Par Noé Guibert et Théo Lheure
M ara Salvatrucha 13 ou Barrio 18. Des noms inconnus au-delà des frontières du Salvador. Ils désignent pourtant des gangs extrêmement violents qui ont longtemps contrôlé le pays. Depuis les années quatre-vingt-dix et jusqu’à peu, les maras ont eu la mainmise sur la population du pays.

Cette omniprésence et cette omnipotence étaient caractérisées par le trafic de stupéfiants, les vols, les viols et les assassinats. Il y a quelques années, le Salvador affichait un des taux d’homicides les plus élevés au monde. En 2015, il s’élevait à 103 pour 100 000 habitants.

Face au règne de la terreur des maras, le petit pays d’Amérique centrale s’est trouvé un héros : Nayib Bukele. En 2015, il commence sa carrière politique en devenant maire de San Salvador, la capitale. En 2019, il se présente à l’élection présidentielle et fait de la baisse de la violence une promesse de campagne. Il est élu à la tête du pays au premier tour, à l’âge 37 ans, avec 53 % des voix. Son ascension sur la scène politique nationale a été fulgurante.

Source : Global Financial Integrity/2021. Réalisé par Théo Lheure/EPJT. 

Source : La Banque mondiale et Diario El Salvador. Réalisé par Théo Lheure/EPJT.

Ce succès politique a pris un autre visage début 2022. Entre le 25 et le 27 mars, 87 personnes sont assassinées par les gangs. C’est le pire bilan pour le pays depuis au moins vingt ans. Pour y mettre fin, le président du Salvador déclare, le 27 mars, la mise en place d’un régime d’exception et se lance dans une répression féroce.

Ce cadre juridique particulier permet aux policiers et aux militaires de contrôler et d’arrêter des individus sans mandat. Des arrestations arbitraires dont le bilan s’élèverait aujourd’hui à 70 000 personnes derrière les barreaux.

Une stratégie qui contraste avec l’idée initiale du président. À son arrivée au pouvoir, en 2019, il met en place un plan de contrôle territorial (PCT). Ce dispositif consiste à augmenter la présence militaire dans des villes gangrenées par les maras et les empêcher de rançonner la population.

« Traitements inhumains »

Pour Nayib Bukele, le PCT est la raison principale de la baisse du taux d’homicides dans le pays. Celui-ci est passé de 38 assassinats pour 100 000 habitants en 2019 à 17 en 2021. Cependant, certaines études affirment le contraire et soulignent que les premières localités où la violence a baissé ne sont pas celles visées par le PCT.

Comme l’a montré le média salvadorien indépendant El Faro, la baisse de la violence avant 2022 est davantage due à un accord secret passé entre le gouvernement et les maras. La nouvelle méthode appliquée par le président Bukele serait donc une réponse à l’affront des gangs en mars 2022.

Fin 2021, sur son compte X, Nayib Bukele revendique lui-même le statut de « dictateur le plus cool du monde ». Une dictature plébiscitée par la majeure partie de la population mais dénoncée par plusieurs ONG. Nombreuses sont celles qui pointent du doigt les milliers d’individus arrêtés sans raison. Une dérive qui s’explique par les quotas d’arrestations imposés aux policiers sans qu’ils ne soient tenus de démontrer l’appartenance à un gang de l’individu.

De même, les « traitements inhumains » infligés aux détenus ont été documentés. Dans le Centre de confinement du terrorisme (Cecot), construit pour l’occasion, de nombreux anciens détenus décrivent des cellules surpeuplées et insalubres.

Capture d’écran Twitter d’octobre 2021/Internet Archive

Les arrestations arbitraires et le mauvais traitement de la population carcérale mettent en péril les principes de l’État de droit. La justice salvadorienne est dépassée face à l’ampleur du dispositif et le nombre d’arrestations. Le pouvoir judiciaire ne peut donc pas intervenir face aux comportements abusifs des forces de l’ordre qui bafouent la présomption d’innocence. Les tribunaux ne peuvent pas non plus juger rapidement des détenus qui attendent leur procès en prison dans des conditions déplorables.

Réalisé par Théo Lheure /EPJT

Vues de l’extérieur, les mesures prises par le président salvadorien contreviennent aux principes de l’État de droit et de la démocratie. Mais, au Salvador, la politique de répression féroce des maras est très appréciée par la population. Un soutien populaire qui se traduit dans les urnes. À l’élection présidentielle de février 2024, Nayib Bukele a été reconduit avec 85 % des voix. Un plébiscite qui montre que la communication du président, qui se veut décontractée et proche du peuple, fonctionne. Elle semble pour le moment occulter la dérive autoritaire de son gouvernement populiste.

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