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Homophobie au cinéma

Fin du tabou

​Cinéma le Parc : Photo MICHEL CRAHAY

Invitée en septembre 2023 sur France 2, l’actrice française Murielle Robin a estimé qu’elle aurait eu une meilleure carrière cinématographique si elle n’avait pas révélé publiquement son homosexualité. Mais la réalité semble être un peu plus complexe que ne l’avance l’actrice. 
Par David Allias et Camile Amara-Bettati
Remplir des salles de spectacle ne suffit pas pour jouer les premiers rôles au grand écran », a regretté Muriel Robin le 16 septembre 2023 sur le plateau de « Quelle époque ». L’actrice de 68 ans est revenue sur sa carrière qu’elle estime faussée à cause de son homosexualité. Ce serait l’une des raisons qui, selon elle, l’ont empêchée de faire une grande carrière dans le septième art. Elle trouve celui-ci imperméable à l’évolution des mentalités et des mœurs, alors même qu’elle déclare avoir « rempli des Zénith pendant trente ans ». Elle s’est également offusquée de constater qu’elle était la seule actrice homosexuelle à aborder ce sujet.

Le cinéma français est encore largement perméable aux discriminations en tout genre, si on en croît la dernière enquête du collectif 50/50. Cette association, créée en 2013 par des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel sous le nom d’Association deuxième regard, a pour objectif de « promouvoir l’égalité des femmes et des hommes et la diversité sexuelle et de genre dans le cinéma et l’audiovisuel ». Et le résultat de leur enquête menée auprès de leurs adhérents (professionnels du cinéma, surtout des femmes) est sans ambiguïté. À la question : « Diriez-vous, aujourd’hui, que la diversité existe dans votre environnement professionnel (au sein de vos équipes, lors des tournages…) ? », 68 % des sondés ont répondu « non ».

D’après l’enquête de 50/50, l’orientation sexuelle n’est que le 12e facteur de discrimination dans le milieu du cinéma. Réalisé par David Allias/EPJT

L’orientation sexuelle serait bien un critère de discrimination. Mais elle ne représenterait que 12 % des causes de discrimination dans le milieu du cinéma contre 78 % pour le sexe et 60% pour l’âge. Pour certains professionnels du cinéma, dont Stéphane Gaillard, directeur de casting, la discrimination des acteurs homosexuels s’est enracinée au fil du temps. Il assure dans une interview à l’AFP, reprise par Le Figaro, que c’est un phénomène « très ancré et qui n’est pas réfléchi (…) Aujourd’hui encore, les acteurs ont une grande difficulté à dire qu’ils sont homosexuels ».

Le directeur de casting, très engagé sur ces thématiques sur ses réseaux sociaux, déclare aussi que « si les homosexuels ne se voient pas proposer de rôles hétérosexuels, c’est aussi de leur fait ». Notamment parce que cela représente une prise de risque pour eux : « Pour un hétéro, jouer un rôle gay apporte une valeur ajoutée, c’est un tremplin. Pour un homo, c’est le risque de ne plus se voir proposer qu’un seul type de rôles. » Sophie Lainé Diodovic, directrice de casting, membre du collectif 50/50, tempère cependant les propos de Muriel Robin. Le mécanisme  « joue surtout pour les stars les plus connues, qui doivent rester des objets de désir ».

Un reflet de la société

La faible intégration des acteurs homosexuels au cinéma ne serait donc que le reflet de leur intégration au sein d’une société dans laquelle, ils souffrent encore de discriminations. Des discriminations qui restent cependant difficiles à quantifier dans le monde du cinéma. Aucun des spécialistes contacté ne nous a répondu sur le sujet pour approfondir notre propos.

Si Valérie Lemercier, interrogée sur le sujet le 3 novembre 2023 déclare que « le cinéma français est probablement homophobe », elle constate également, au micro de RTL, « qu’il y a des acteurs qui le disent ouvertement et qui travaillent ». Une dizaine de jours après la déclaration de Muriel Robin, Vincent Dedienne a répondu à sa consœur dans l’émission « Laissez-vous tenter » sur RTL . Il a qualifié ses propos « d’épatants », mais il précise qu’il demeure « compliqué de faire des généralités ». Il se prend pour exemple : « Moi, je ne me sens pas confronté à l’homophobie au cinéma. On me propose pas mal de choses et je dois plutôt courir après les rôles d’homo. »

Adèle Haenel reçoit son César sur la scène du Théâtre du Châtelet en 2014. Photo : DR

Certains ont d’ailleurs revendiqué tôt leur orientation et ont su briser le silence. En, 2014, alors qu’elle venait d’obtenir le César du meilleur second rôle (son premier) pour Suzanne, de Katell Quillévéré, Adèle Haenel, n’a pas hésité à déclarer sa flamme : « Je voulais remercier Céline, parce que je l’aime. »

Ces révélations restent rares. Pourtant, chacun devrait se sentir libre de révéler, ou non, son orientation sexuelle sans que cela ait une quelconque incidence sur la trajectoire d’une carrière. S’il y a  des progrès, il reste encore du chemin à faire.

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