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IVG dans la Constitution

Le droit à l'avortement, scellé dans la loi française

Congrès du 4 mars 2023 sur l’IVG dans la Constitution : Photo Emmanuel Dunand/AFP

Le 4 mars 2024, la France est devenue le premier pays à inscrire « la liberté à recourir à l’intervention volontaire de grossesse » dans sa constitution. Modifier le texte suprême français n’est pas une mince affaire. Retour sur ce long processus de révision constitutionnelle.
Par Lou Attard et Susie Bouyer

À l’occasion de la Journée internationale de lutte pour le droit des femmes, le 8 mars dernier, le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, scelle dans la Constitution française la « liberté garantie » d’accès à l’IVG après un an et demi de bataille parlementaire.  Cette loi fondamentale « définit l’organisation des pouvoirs publics et protège les droits et libertés des citoyens ».

Depuis sa promulgation en 1958, la Constitution en est à sa vingt-cinquième révision. En France, la réforme de la Constitution peut venir de deux initiatives : celle du président de la République ou celle d’un parlementaire. Depuis 2017, députés et sénateurs à gauche de l’échiquier politique ont déposé neuf propositions pour inscrire l’IVG dans la Constitution, sans véritable succès.

La Constitution est un texte dit rigide. Pour le modifier, les parlementaires ou le gouvernement sont soumis à une procédure complexe définie par l’article 89. Il impose qu’une révision proposée par le parlement soit soumise à un référendum après que le texte ait été validé dans les mêmes termes, à la virgule près, par l’Assemblée nationale et le Sénat.

Une procédure compliquée et exigeante

Le seul texte à avoir été examiné successivement à l’Assemblée et au Sénat est celui porté par Mathilde Panot, députée La France insoumise (LFI), fin 2022. Mais il avait peu de chance d’aboutir à cause d’une procédure trop compliquée, trop exigeante. En effet, l’initiative parlementaire pour modifier la Constitution impose que les deux assemblées s’accordent sur la formulation.

D’abord rejetée par la commission des lois du Sénat, la proposition de LFI, prévoyait de garantir « le droit fondamental » à l’IVG. Il a fait l’objet d’un amendement de Philippe Bas, sénateur Les Républicains voté par les sénateurs en février 2023qui modifie le texte de départ car il évoque « la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». Le terme droit  a été jugé trop fort pour la majorité de droite et du centre au Sénat.

La proposition de la députée LFI a finalement été abandonnée au profit d’un projet porté, lui, par l’exécutif. C’était en effet une promesse de campagne d’Emmanuel Macron qui l’a présenté le 12 décembre 2023 en conseil des ministres.

Dans ce cas de figure, le gouvernement doit aussi faire voter son texte à l’Assemblée puis au Sénat mais il peut, aussi choisir de le faire valider par référendum ou par un Congrès réunissant les deux chambres.

« La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours » à une IVG. Le choix du terme de liberté plutôt que de droit  n’a pas été fait au hasard. Il reprend la formulation introduite par Philippe Bas dans le texte voté quelques mois plus tôt et finalement abandonné. Avec cette formulation, le gouvernement a essayé de se poser en intermédiaire entre le texte LFI et celui modifié par le Sénat.

A l’Assemblée, seuls quelques élus LR et RN votent contre

La révision pour l’IVG a été votée en première lecture à l’Assemblée nationale avec 94,2 % des suffrages. Malgré quelques voix contre et quelques abstentions côté LR et Rassemblement national (RN), la très grande majorité des députés ont montré leur volonté de concrétiser ce projet.

On craignait cependant que le vote du Sénat change la donne. En effet, à la veille de l’examen du texte, Gérard Larcher, président du Sénat et membre du groupe politique LR affichait son opposition. En tant que constitutionnaliste, il déclarait sur franceinfo le 23 janvier 2024 : « L’IVG n’est pas menacée. (…) La Constitution n’est pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux. »

Le choix du terme liberté plutôt que du droit a lui aussi été un point de discorde. Guillaume Drago, professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas, dans un article pour La Voix du Nord, commente : « Il appartiendra au juge de faire l’équilibre entre les différents droits et libertés. À terme, il pourrait faire prévaloir cette liberté d’avorter, devenue constitutionnelle, sur la liberté de conscience des soignants, la dignité de la personne humaine, voire la liberté d’expression. »

Le terme de garantie a aussi été un point de débat. Selon Les Républicains, cette formule semble inutile à la loi. Pour eux, un texte inscrit dans la Constitution est en fait déjà garanti.

Un point épineux subsiste : la clause de conscience du corps médical qui permet que les professionnels de santé peuvent refuser de pratiquer une IVG pour des raisons personnelles. Cette clause de conscience est instituée par l’article L2212-8 du Code de santé publique. Les détracteurs de ce texte dénoncent le non-respect de cette clause si l’IVG est intégrée dans la Constitution.

« Je ne voudrais pas que ce vote soit reporté au nom des médecins car jamais les femmes qui défendent avec vigueur les droits des femmes ne s’en sont prises à notre clause de conscience alors ne nous en prenons pas aux droits des femmes », rétorque Bernard Jomier, médecin  de profession et sénateur. Dans l’hémicycle, il assure qu’« aucune organisation professionnelle ni syndicat de médecin ne tire la sonnette d’alarme et n’estime que la constitutionnalisation de l’IVG serait une atteinte à la clause de conscience. »

Intervention de Claude Malhuret, ancien président de Médecins sans frontières et sénateur Les Indépendants, lors du Congrès du 4 mars 2023. Vidéo : Public Sénat

Finalement, le 28 février dernier, la Chambre haute s’est exprimée en faveur de l’inscription de l’IVG dans la Constitution après un vote historique. Des amendements, dont ceux du sénateur LR Philippe Bas et de Stéphane Ravier (Reconquête), ont bien tenté de ralentir le processus de révision mais sans succès.

Le texte de révision a été adopté par le Sénat à 267 voix pour et 50 contre, sans modification. Les voix contre et les abstentions venaient principalement des groupes RN, LR, Union centriste et Indépendants (UCI).

Les sénateurs et les députés ont ensuite été appelés, par le président de la République, à se réunir en Congrès pour finaliser l’inscription de l’IVG dans la loi fondamentale. Le 4 mars 2024, ils ont entériné le projet avec 780 voix pour et 72 contre, plus de « trois cinquièmes des suffrages exprimés », comme fixé par la Constitution.

La France est ainsi devenu alors le premier pays dans le monde à inscrire le droit à l’IVG dans sa loi fondamentale.

« En 2024, la liberté des femmes de recourir à l’IVG sera irréversible », avait annoncé Emmanuel Macron sur X, le 29 octobre 2023. L’inscription de l’IVG dans la Constitution n’est cependant pas totalement irréversible. Dans les faits, un nouveau gouvernement pourrait aussi bien décider de retirer ce droit de la constitution par le biais d’un référendum notamment.

Il est donc garanti à court terme, jusqu’à la prochaine élection présidentielle. « Si la liberté de recourir à l’IVG peut y être intégrée, elle peut très bien en être retirée par la même procédure de révision », explique Guillaume Baticle, doctorant en droit public dans un article pour Les Surligneurs.

L’inscription de l’IVG dans la Constitution symbolise une avancée certaine pour les femmes françaises mais aussi un message pour celles du monde entier. Lors de la cérémonie du scellement de ce texte dans la constitution, Emmanuel Macron a exprimé son ambition de porter ce projet sur le plan européen. « Si on ne mène pas de combats, il n’y a aucune chance de les gagner », a-t-il déclaré.

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