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La chasse à la sécurité

Le gouvernement souhaite lancer d’ici l’automne 2023 une application de géolocalisation en Open-Data qui permettra aux Français d’identifier les zones et horaires non chassées à proximité. Photo : Margaux Dussaud/EPJT

Début 2023, le gouvernement a dévoilé une série de mesures sur la chasse afin que cette dernière soit mieux réglementée et sécurisée en France. Le décret interdisant la chasse sous l’emprise de l’alcool a été publié ce mois-ci. Ces réformes participent au débat sur la sécurité de cette pratique. Deux camps s’opposent.

 

Par Sarah Costes et Aya El Amri
La chasse est ancrée dans l’histoire et la tradition française. En 2021, près de 5 millions de Français ont un permis de chasse et 1,03 million la pratiquent régulièrement. 

Mais cette activité divise aujourd’hui la société. En 2022, un sondage d’Ipsos révèle que 87 % des Français pensent que la chasse pose des problèmes de sécurité notamment pour les promeneurs. Elle a été en effet responsable de 95 accidents dont 8 décès cette même année. Pourtant, le nombre des incidents liés à la chasse a baissé de façon notable en vingt ans : moins 46 %. 

 

C’est dans ce contexte de débats, plutôt virulents, sur les dangers de la chasse que l’exécutif dévoile, lundi 9 janvier, une série de mesures afin d’en sécuriser la pratique. Parmi elles, la limitation de l’alcoolémie à 0,5 gramme et une formation des chasseurs davantage axée sur la pratique, notamment des exercices de maniement des armes. Les règles de sécurité doivent être renforcées. Il est dorénavant obligatoire d’obtenir un certificat d’aptitude délivré par un médecin pour acquérir un permis de chasse. Enfin, une application sera mise à disposition des promeneurs. L’objectif de ce plan ? Arriver au « zéro accident »

Infographie : Sarah Costes/EPJT

Pourtant réclamée par près d’un Français sur quatre (sondage Ifop), l’interdiction de la chasse le dimanche n’est pas au programme. « On ne peut pas faire comme si, en supprimant une journée de chasse par semaine, on réglerait le problème de manière totale », justifie le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. 

Ce à quoi le président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), Allain Bougrain-Dubourg, rétorque : « C’est un mépris inacceptable à l’égard des 80 % de Français qui attendent un cessez-le-feu. »

Ce plan provoque de vives réactions parmi les associations de défense de la nature et des promeneurs. Ils dénoncent des mesures dérisoires. « Applaudir le fait qu’on n’a pas le droit de chasser avec un fusil quand on est bourré […] C’est quand même le minimum ! » fustige Matthieu Orphelin, ancien député et directeur général de la LPO. L’application qui indiquerait les zones de chasse ne fait pas non plus l’unanimité : « Ces mesures ont tendance à reporter la responsabilité des accidents sur les non-chasseurs, regrette la représentante de France nature environnement, Dominique Py. Cela va être aux non-chasseurs d’aller se renseigner, ce n’est pas normal. » 

Le collectif Un jour, un chasseur, fondé suite au décès de Morgan Keane, abattu par un chasseur dans son jardin, trouve cette mesure indécente. Faudra-t-il regarder une application pour passer du temps dans son jardin ? 

Diaporama : Aya  El Amri/EPJT

Bien avant son premier mandat, Emmanuel Macron tentait tant bien que mal de trouver une ligne de crête entre les détenteurs de fusils et les tenants du bien-être animal. Depuis la campagne présidentielle de 2017, il ne cesse de cajoler cette population.

Le 15 mars, il est alors en campagne présidentielle, il défend la réouverture des chasses présidentielles devant l’assemblée générale de la Fédération nationale des
chasseurs. Tous les présidents de la Ve République en ont organisées, même ceux qui n’appréciaient pas cette pratique. Jusqu’à ce que Jacques Chirac y mette le holà et que Nicolas Sarkozy les supprime officiellement en 2010.

Emmanuel Macron conclut, le 15 décembre 2017, une alliance politique avec le président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) Willy Schraen et Thierry
Coste, puissant lobbyiste des chasseurs au château de Chambord. « Pour la première fois depuis près d’un demi-siècle, un président de la République participe à
un tableau de chasse, où le sang coule dans la terre et où la viande gèle », écrit Émilie Lanez dans son livre-enquête Noël à Chambord.

Le 14 septembre 2022, le rapport d’information du Sénat a listé 30 propositions qui visent à mieux encadrer la chasse. Ce rapport sénatorial est intervenu après que le collectif  Un jour, un chasseur  ait lancé une pétition qui a recueilli plus de 120 000 signatures en novembre 2021. (Raymond Roig/AFP)

Une alliance conclue au grand dam de Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique et solidaire et fervent opposant à la chasse. Mais qui va jouer en faveur du chef de l’État un an plus tard, lors de la crise des gilets jaunes si on en croit Willy Schraen. Celui-ci estime en effet que ce mouvement aurait été bien plus violent si les chasseurs s’étaient mis de la partie.

Le 15 février 2018, Emmanuel Macron reçoit Willy Schraen, à l’Élysée. Plusieurs dossiers sont alors discutés : le maintien de la chasse à courre, les chasses présidentielles, la simplification du permis de chasse… Le 27 août 2018, une nouvelle réforme de la chasse est annoncée par l’Elysée  qui porte tout un ensemble de dispositions « pour mieux protéger la biodiversité, moderniser l’organisation de la chasse, et améliorer la gestion des dégâts de gibier ». Mesure phare : le prix du permis national de chasse est divisé par deux et passe de 400 à 200 euros, comme le réclamaient les chasseurs. Le lendemain, Nicolas Hulot annonce sa démission avec fracas sur France Inter.

En décembre 2020, le président accorde une interview au média en ligne Brut. Il réfute alors le mot « lobby » pour qualifier les chasseurs. « Les chasseurs, ce n’est pas un lobby. (…) Les chasseurs, ce sont des millions de nos concitoyens qui pratiquent cette activité dans la ruralité, c’est une réalité », argue-t-il. C’est peut-être là que l’on peut comprendre pourquoi Emmanuel Macron défend les chasseurs bien que leurs positions soient minoritaires dans le pays.

Un vrai enjeu électoral

En se plaçant défenseur de la chasse, il veut démontrer qu’il est le président des territoires ruraux un milieu fort loin de son univers politique. La communauté des chasseurs constitue un véritable atout pour lui. 

De fait, le président de la République, candidat à sa réélection en 2022, reçoit le soutien de Willy Schraen, président de la FNC. Celui-ci appelle à voter pour lui dès le premier tour. « C’est assez rare qu’une organisation de la société civile appelle à soutenir un candidat », s’étonne Guillaume Courty, professeur de science politique à l’université de Picardie Jules-Vernes. Le politologue Paul Ariès constate, lui que « les 4 millions de chasseurs » forment « un vrai enjeu électoral avec leur famille ».

Affaire Morgan Keane : un procès de la chasse

Le 2 décembre 2020, Morgan Keane, jeune Lotois de 25 ans, est abattu par un chasseur alors qu’il coupait du bois dans son jardin. A l’origine du tir, Julien Féral affirme avoir confondu la victime avec un sanglier. 

Le 12 janvier 2023, Julien Féral et Laurent Lapergue, le directeur de la battue, ont été déclarés coupables d’homicide involontaire et condamnés respectivement à deux ans et dix-huit mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Cahors. Julien Féral se voit retirer son permis à vie et Laurent Lapergue pourra repasser le sien après un retrait de cinq ans.

Le collectif Un jour, un chasseur est fondé par quatre amies de Morgan Keane. Il recense les incidents liés à la chasse et veut faire émerger des mesures supplémentaires renforçant la régulation de cette pratique. Des incidents, selon le collectif, trop souvent oubliés et banalisés.

Le budget accordé aux chasseurs prouve encore une fois le béguin du président pour la communauté cynégétique. Les subventions du gouvernement aux chasseurs sont passées de 27 000 euros en 2017 à 6,3 millions d’euros en 2021. 

Entre chasseurs et défenseurs du vivant, le débat sur la pratique de la chasse est loin d’être clos.

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