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“Utopiste”, “irréalisable”, “impossible” pour les uns ; “révolutionnaire”, “innovant”, “brillant” pour les autres : le revenu universel fait débat au sein de la société française. Présenté comme l’une des mesures phares du programme de Benoît Hamon, candidat du Parti Socialiste à l’élection présidentielle, ce projet a connu de nombreuses évolutions. En quoi consiste-t-il ? D’où vient-il ? Quels sont les bénéfices pour les citoyens ? Comment le met-on en place ? Quels pays l’ont déjà adopté ?

Le revenu universel est une somme d’argent versée à tous les citoyens d’un pays sur une base régulière. Dans sa définition la plus stricte, il est versé sans condition de revenus ou d’âge. Il s’agit d’un droit inaliénable : tous les citoyens touchent la même somme, de la naissance jusqu’à la mort. Il agit comme un substitut aux aides sociales déjà existantes et simplifie les démarches en créant une seule aide pour tous. Dans son programme, Benoît Hamon fixe le montant de son revenu universel à 750 euros par mois pour tous les Français de plus de 18 ans.

Donner à tous la même somme d’argent : l’idée n’est pas neuve. Elle apparaît pour la première fois au XVIe siècle, dans le livre Utopia de Thomas More. Le philosophe anglais y décrit une société utopique où la richesse serait répartie de manière équitable entre tous les habitants.

Cette idée est ensuite reprise par Thomas Paine, un intellectuel britannique et américain. Dans La Justice agraire (1797), il propose le versement d’un revenu minimum à chaque individu majeur grâce à un fonds alimenté par les propriétaires terriens. Ce revenu permettrait une meilleure répartition des revenus générés par la terre, droit commun et naturel que certains se sont appropriés au détriment des autres.

Au cours du XXe siècle, de nombreuses personnes ont développé cette idée de « revenu de base », parmi lesquelles le philosophe américain John Rawls. Dans Théorie de la justice (1971), il explique que les États doivent bâtir des sociétés plus justes en assurant notamment une bonne répartition des richesses. Dans sa théorie, tous les citoyens doivent avoir accès aux mêmes libertés de base (santé, revenus, égalité des chances…)

En France, l’idée d’un revenu universel est portée par André Gorz, philosophe et journaliste. A partir de 1996, il défend l’instauration d’une « allocation universelle », qui permettrait aux citoyens de subvenir à leur besoin sans être aliénés par le travail.

Meilleure répartition des richesses, société plus juste, émancipation vis-à-vis du travail… Les raisons de mettre en place le revenu universel sont nombreuses et variées. Pour Benoît Hamon, il s’agit surtout de lutter contre la pauvreté : « Il représente un soutien inédit au revenu des classes populaires et moyennes, un instrument puissant de lutte contre la pauvreté et toutes les précarités », explique-t-il dans son programme.

Dans Les tableaux de l’économie française de 2017, l’INSEE publie les chiffres de la pauvreté en France pour 2014. Le seuil de pauvreté est calculé à partir du revenu médian (revenu qui divise la population en deux parties égales, la moitié touche moins, la moitié touche plus). Le seuil officiel en France correspond à 60% de ce revenu médian, soit 1008 euros par mois en 2014. Les personnes qui touchent moins de 1008 euros sont donc considérées comme pauvres. Ainsi, en 2014, 8,8 millions de personnes étaient dans ce cas, soit 14% de la population française.

Coût de la mesure, réorganisation du travail, assistanat : les débats autour du revenu universel

Benoît Hamon lors d’un meeting à Nancy, le 5 avril 2017. Le candidat PS à l’élection présidentielle propose d’instaurer un revenu universel de 750 euros mensuel à toute personne âgée de 18 ans ou plus d’ici à 2022. / AFP PHOTO / Philippe Lopez

Les critiques pleuvent sur le revenu universel. Au sein même de la gauche française, nombreuses sont les voix qui s’élèvent contre le projet de Benoît Hamon. Trois arguments sont omniprésents lors des débats sur le revenu universel : le coût de la mesure, la défense de la valeur travail et la crainte de voir apparaître une société d’oisiveté.

Débat n°1 : Le coût de la mesure

Invité au micro de Franceinfo mardi 10 janvier 2017, Manuel Valls, alors candidat à la primaire de la gauche, a défendu son projet de « revenu décent », critiquant par la même occasion le revenu universel de son adversaire Benoît Hamon : « 8 milliards, ça n’a rien à voir avec un revenu universel qui irait au-delà des 300 milliards et qui est impossible à mettre en œuvre. »

Le coût du revenu universel est le débat le plus récurrent parmi ses opposants. En effet, un tel dispositif coûterait entre 300 et 480 milliards d’euros par an.

Le décryptage

Selon l’INSEE, le nombre de personnes âgées de plus de 18 ans en France s’élevait à environ 52 millions de personnes au 1er janvier 2017. Pour un revenu universel de 750 euros par mois, le coût annuel serait donc d’environ 469 milliards d’euros.

Il faudrait en déduire les économies réalisées grâce à la suppression d’aides sociales, alors contenues dans ce revenu. Selon un rapport de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) daté du 15 décembre 2016, le revenu universel « remplacerait les prestations familiales, le RSA, la PA [Prime d’Activité], les allocations logements, soit 87 milliards de prestations existantes ». Il faudrait y ajouter 22 milliards d’euros liés à la suppression du quotient familial et conjugal. Au total, 109 milliards d’euros d’économies seraient ainsi réalisés chaque année.

Le coût du revenu universel serait donc de 360 milliards d’euros par an, soit un peu moins de 15% du PIB français.

Benoît Hamon a revu son projet pour en baisser le coût

Lors d’une interview donnée sur BFM TV le 3 janvier 2017, Benoît Hamon a détaillé les étapes d’un « processus progressif » qui conduirait à la distribution d’un revenu universel pour tous, « d’ici 5 ans ».

S’il est élu président, le candidat porterait d’abord le montant du RSA à 600 euros par mois, dès 2018 (contre 470,95 euros aujourd’hui pour le montant le plus bas, correspondant à une personne seule sans enfant touchant l’aide au logement). Le RSA serait versé automatiquement à tous les ayant-droits, alors qu’aujourd’hui environ un tiers des personnes éligibles ne le réclament pas. Selon les calculs du journal Le Monde, cette revalorisation du RSA coûterait 19,8 milliards d’euros par an, soit 8,1 milliards de plus que son coût actuel.

Le RSA serait ensuite versé à l’ensemble des 18-25 ans, « pour être autonome et favoriser leur insertion sociale et professionnelle ». Benoît Hamon chiffre cette mesure à 45 milliards d’euros, montant confirmé par Le Monde.

Ainsi, ces deux mesures s’élèveraient à 53,1 milliards d’euros par an. Pour les financer, Benoît Hamon propose la mise en place d’une nouvelle imposition du patrimoine, qui correspondrait en réalité à une fusion entre l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et la taxe foncière.

Enfin, dans un troisième temps, le revenu universel serait étendu à l’ensemble des citoyens, pour une somme de 750 euros mensuel, comme indiqué par le candidat dans son programme. Pour souligner la faisabilité de son projet, Benoît Hamon a évoqué à plusieurs occasions la mise en place de la Sécurité Sociale en 1945, dont le coût aurait représenté 100% du PIB français de l’époque. Selon lui, son projet de revenu universel, « 15 à 20% du PIB », serait donc largement réalisable, en suivant les étapes proposées. Il n’a cependant pas apporté plus de précisions sur le financement total de ce projet.

Débat n°2 : La défense de la valeur travail

Début janvier, Vincent Peillon et Arnaud Montebourg, alors candidat à la primaire de la gauche, se sont exprimés au sujet du revenu universel lors d’interviews radios et télévisées. Une des critiques les plus récurrentes vis-à-vis du projet de Benoît Hamon est la crainte de voir la remise en cause de la valeur travail.

Invité sur BFM TV le 2 janvier 2017, Vincent Peillon s’est opposé au revenu universel en ces termes : « Je crois à la dignité par le travail et dans le travail. Je veux une solidarité qui inclut, pas qui exclut. […] Ce qui est bon, ce qui est important, c’est de pouvoir se construire soi-même, s’insérer socialement, avoir des échanges avec les autres, par le travail. »

Arnaud Montebourg a rejoint cette opinion lors de son passage sur RTL, le 3 janvier 2017 : « Je suis un petit peu comme Victor Hugo lorsqu’il exaltait le travail fier. Je crois à la société du travail parce que c’est l’outil de la dignité du citoyen. »

Décryptage

La valeur travail, sociologiquement parlant, désigne la valorisation du travail comme outil d’émancipation et de libération de l’individu.

Arnaud Montebourg et Vincent Peillon voient le travail comme un facteur d’intégration sociale. Le travail n’aurait de valeur que s’il était reconnu par les autres membres de la société. C’est ce que souligne Jean-Marie Harribey, ancien maître de conférences d’économie, dans une interview à Libération en août 2015 : « Nous avons besoin du regard des autres, de la reconnaissance des autres pour valider nos activités. Pour qu’ils existent des rapports sociaux, il faut un aller-retour ».

C’est dans cet échange avec les autres que se construirait la dignité du citoyen, membre à part entière d’une société qu’il contribue à construire. Donner un revenu universel à tous, c’est donner la possibilité aux citoyens de rester chez eux sans travailler. Or quelqu’un qui ne travaille pas, ne serait pas digne, selon Arnaud Montebourg et Vincent Peillon.

La révolution numérique comme moyen de travailler moins et vivre mieux

Lors d’une interview pour Le Monde, le 4 janvier 2017, Benoît Hamon a répondu à ses adversaires à propos de la valeur travail. Il a notamment évoqué le développement du numérique dans les entreprises et les usines, responsables de destruction d’emplois et de baisse du temps de travail. Mais loin de s’alarmer, Benoît Hamon y voit plutôt un argument de plus en faveur du revenu universel : « [Il faut] tirer le meilleur parti de cette formidable opportunité que nous offre la révolution numérique de moins travailler et de vivre mieux. »

Dans une interview donnée à Libération le 5 janvier 2017, Benoît Hamon a pu défendre plus longuement son projet, en développant notamment ses propos tenus dans le Monde. Pour le candidat, le revenu universel ne constitue pas une alternative au travail mais une possibilité de s’autonomiser par rapport au travail. Il ne représenterait plus une source unique de revenus dont les personnes seraient dépendantes. Elles pourraient ainsi choisir de travailler moins, notamment en cas d’emploi pénible ou d’horaires décalés.

Pour illustrer son propos, Benoît Hamon prend l’exemple d’une auxiliaire de vie : « Si demain vous proposez à une auxiliaire de vie, payée 1 300 euros par mois, de baisser son temps de travail en maintenant son pouvoir d’achat, elle le fera immédiatement. […] Aujourd’hui, on leur demande de faire des toilettes de personnes âgées en dix minutes, là où elles ont besoin de trente. Quand on les interroge, ces salariées expliquent qu’elles maltraitent les patients dans leurs établissements, qu’elles perdent l’estime de soi en faisant mal leur travail. Alors oui, si le revenu universel est un moyen de se libérer d’un temps de travail où on ne s’épanouit pas, c’est un progrès. »

Débat n°3 : Vers une société d’oisiveté ?

Manuel Valls, lors de son passage sur Franceinfo le 10 janvier 2017, a formulé une autre critique à l’encontre du revenu universel. L’ex premier-ministre a notamment déclaré : « Je suis pour une société du travail, de la solidarité. Je ne suis pas pour une société de l’assistanat ou du farniente. » A gauche comme à droite de l’échiquier politique, nombreuses sont les craintes de voir apparaître une société d’oisiveté, une société où les gens seraient payés à ne rien faire.

Décryptage

Dans sa définition la plus stricte, le revenu universel serait le même pour tous, travailleurs ou non. Chacun choisirait d’occuper son temps comme il le souhaite, ses revenus étant assurés par ailleurs. Or une société peut-elle donner un revenu aux personnes qui ne contribuent pas à son édification ? Ce paradoxe est connu sous le nom de « controverse des surfeurs de Malibu ». Cette controverse, devenue célèbre dans les débats sur le revenu universel, pose la question suivante : « Si une personne choisit de passer ses journées en faisant du surf à Malibu, pourquoi la société devrait-elle la nourrir ? ». Le « surfeur » désigne ici toute personne qui choisit de ne pas travailler pour se consacrer à un passe-temps qui ne fait pas avancer la société dans son ensemble.

« Le travail ne se résume pas à l’emploi »

Lors de son passage dans L’Émission Politique sur France 2, le 8 décembre 2016, Benoît Hamon s’est appuyé sur une expérience menée au Canada dans les années 1970. Deux villes du Manitoba, Winnipeg (450 000 habitants) et Dauphin (10 000 habitants), ont expérimenté le revenu universel pour les familles aux revenus trop faibles. Comme l’explique le candidat socialiste, lorsque ces familles touchaient ce revenu en plus de leurs salaires, seuls 3% des femmes et 1% des hommes ont cessé de travailler, chiffres confirmés par plusieurs chercheurs et économistes. Cette expérience à petite échelle reste cependant difficile à transposer de manière fiable à un pays comme la France.

C’est donc sur des arguments plus idéologiques que Benoît Hamon a principalement construit sa défense. Selon lui, le versement d’un revenu universel permettrait aux citoyens de se consacrer à d’autres formes de contribution à la société, tel que le bénévolat, l’engagement associatif ou encore les activités artistiques. Dans une interview à Libération le 5 janvier 2017, il défend cette vision en ces termes : « Le travail ne se résume pas à l’emploi. Les bénévoles n’ont pas de gratification, et pourtant ils font un travail ! Le revenu universel apporte une forme de reconnaissance au travail qui existe en dehors de l’emploi. C’est aussi une invitation à s’épanouir dans d’autres activités que l’emploi. »

Enfin, selon le candidat, ce revenu universel pourrait encourager la prise de risque, comme la création de start-ups et de petites entreprises dont le succès n’est pas assuré, sans pour autant manquer de moyens financiers.

Le revenu universel dans le monde : mise en place et expérimentations

L’Iran est le premier pays au monde à avoir mis en place une forme de revenu universel pour tous ses habitants, sans restriction. Cette décision ne relève pourtant pas d’une véritable volonté politique mais d’un choix par défaut. En effet, le pays souhaitait moderniser son système de subvention sur les combustibles et l’alimentation, devenu daté et peu performant. En 2008, le président Ahmadinejad a ainsi proposé de le remplacer par un revenu en espèce versé directement aux citoyens. La mesure ne concernait initialement que les ménages les plus pauvres. Mais face au manque de fiabilité des critères de sélection et au mécontentement des plus riches, elle a finalement été étendue à l’ensemble des Iraniens vivant en Iran. Elle ne concerne donc pas les résidents de nationalité étrangère et les Iraniens vivant hors des frontières du pays. Depuis 2010, les 82 millions d’habitants reçoivent ainsi 40 dollars par mois (soit 12% du salaire moyen), sans conditions d’âge ou de revenu.
Depuis 1982, l’Alaska verse une somme annuelle à ses résidents, considérée par certains comme un revenu universel. Cette mesure concerne tous les citoyens habitant cet état depuis plus de 5 ans, quel que soit leur âge. Elle est financée par l’Alaska Permanent Fund, un fonds géré par la société du même nom. Ce fonds investit au moins 25% des revenus pétroliers et miniers de l’état dans des placements sûrs. Une partie de ces revenus d’investissements est ensuite reversée aux citoyens. La somme dépend des cours de la bourse et du pétrole et varie donc chaque année. En 2016, le montant de ce revenu s’est élevé à 1022 dollars annuels, soit un peu plus de 85 dollars par mois. Une somme trop faible pour constituer un revenu à part entière.
Depuis 2008, la Région Administrative Spéciale de Macao distribue un revenu universel à tous ses résidents âgés de plus de 18 ans. Ce “mécanisme de participation à la richesse” est financé par les casinos locaux, un des piliers de l’économie macanaise. Le montant de ce revenu s’élève à 9000 patacas, soit 1041 euros par an pour les résidents permanents. Les résidents non permanents (c’est à dire ayant séjourné moins de 183 jours dans la région) reçoivent quant à eux 60% de cette somme, soit 624 euros par an. On compte environ 600 000 bénéficiaires.
En Europe, début 2017, seule la Finlande a mis en place une expérimentation. Les Pays-Bas finalisent un projet d’expérimentations. La province canadienne de l’Ontario également. Enfin, d’autres pays expérimentent le revenu universel à petite échelle, afin d’étudier ces conséquences et de déterminer s’il faut l’étendre à l’ensemble de la population. C’est le cas du Brésil. La Finlande verse un revenu à 2000 personnes tirées au sort depuis le 1er janvier 2017. Seules conditions : être demandeur d’emploi et avoir entre 25 et 58 ans. Les participants reçoivent 560 euros par mois durant deux ans, somme qui vient ainsi remplacer leurs allocations chômage et s’ajoute à leur couverture santé et leurs allocations logement. Si les participants trouvent du travail au cours de l’expérience, ils continueront quand même à toucher le revenu universel et ne seront pas taxés dessus. A travers cette expérimentation, Kela (l’agence de sécurité sociale finlandaise à l’origine du projet) cherche à savoir si le versement d’un revenu universel incite ou non les chômeurs à la recherche d’un emploi. En effet, certaines personnes peuvent renoncer à un travail quand le salaire leur garantit moins de revenus que leurs allocations chômage. Ses détracteurs dénoncent une mesure coûteuse (20 millions d’euros sur 2 ans) et une incitation à la paresse. Ses partisans estiment quant à eux que le revenu universel garantit plus d’égalité entre les citoyens et la liberté de choisir son occupation professionnelle sans contrainte financière.

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