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RDC - Rwanda

Les freres ennemis

Rebelles du M23 à Kibumba, dans l’est de la République démocratique du Congo, le 23 décembre 2022. Photo : Glody Murhabazi/AFP

Les relations entre la République démocratique du Congo et le Rwanda depuis le génocide de 1994 n’ont de cesse de se détériorer.. Entre violences, prises de positions diplomatiques et groupes armés, un puissant regain de tensions se joue entre les deux pays depuis 2021.

Par Inés Alma et Sophie Jeanneteau
Le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) a déposé plainte, mardi 23 mai, à la Cour pénale internationale pour des crimes commis dans la région frontalière de l’Est du pays, le Nord-Kivu, entre 2022 et 2023. Kinshasa a demandé l’ouverture d’une enquête approfondie sur « les graves violations du droit international et des droits de l’homme par les agents de la coalition RDF (les forces militaires rwandaises) et le M23 ».

Depuis environ trente ans, les relations entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC) sont marquées par une grande méfiance mutuelle. En 1994, le Rwanda a été le théâtre d’un génocide dévastateur au cours duquel environ 800 000 personnes ont été massacrées, majoritairement Tusti. Ce qui a eu des répercussions régionales et durables. Les deux guerres du Congo, entre 1996 et 2003, ont également participé à entériner le conflit entre les deux pays. 

Les mouvements de population qui découlent de ces crises ont créé tensions et conflits. Entre le président rwandais, Paul Kagame, et son homologue congolais, Félix Tshisekedi, des différends politiques se jouent qui entravent coopération et résolution du conflit.

La région de l’est de la RDC, le Nord-Kivu, très agricole et riche en ressources naturelles, est une source de contentieux persistant. Ses frontières, héritées de la colonisation, sont sources de discordes, même si les instances régionales comme l’Union africaine (UA) les considèrent comme intangibles. La région a été exploitée par les groupes armés pour financer leurs activités, notamment en mettant en place des impôts sur les récoltes. Les accusations de pillage des ressources et de trafics illicites ont nourri la méfiance entre les deux pays. 

Infographie : Inés Alma/EPJT et Sophie Jeanneteau/EPJT

C’est dans ce contexte que naissent plusieurs groupes armés, des deux côtés de la frontière. Après la fin, en 2003, de la deuxième guerre du Congo, un gouvernement de transition est établi à Kinshasa, la capitale de la RDC. Il compte les groupes rebelles qui ont participé à la guerre, qui sont intégrés à l’armée régulière congolaise, les Forces armées de la République du Congo (FARDC). 

Cependant, l’un d’entre eux, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) reprend les armes dans le nord de la région. Des négociations échouent et les combats s’intensifient, notamment dans des villes proches de la frontière rwandaise. La Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (Monuc, qui devient Monusco en juillet 2010) dénonce des crimes de guerre commis par la FARDC et le CNDP. 

Le génocide rwandais est encore dans les mémoires. Certaines revendications du groupe rebelle justifient la prise d’arme pour éviter un nouveau génocide contre les Tusti, d’autres appellent à « venger » des Tutsi massacrés. 

Des accords de paix sont finalement signés le 23 mars 2009 entre le gouvernement et le CNDP. Il stipule notamment une meilleure intégration des Tutsi congolais dans les institutions gouvernementales et un retour des rebelles, exilés dans les pays limitrophes. Les membres du CNDP, qui se transforme en parti politique, sont par ailleurs intégrés à l’armée congolaise.

Mais ces accords ne sont pas respectés selon certains membres du CNDP qui fondent, en réaction, le Mouvement du 23 mars (M23) et se mutinent en avril 2012.  Plusieurs villes  tombent sous le contrôle du groupe armé, qui chasse les FARDC. Les revendications sont les mêmes que celles du CNDP : les Tutsi congolais ainsi que d’autres communautés, d’origines rwandaises, qui  seraient discriminées voire persécutées.

Et justement, le voisin rwandais soutient le M23, selon un rapport du Conseil de sécurité des Nations unies. Le pays apporte une aide logistique, financière et politique, envoie des soldats de l’armée nationale. Il a même assisté à sa création. Face à la pression de la communauté internationale, le président du Rwanda depuis 2000, Paul Kagame, retire son soutien.

La majorité des combats se concentrent dans le Nord-Kivu, plus précisément dans les territoires de Masisi et de Rutshuru, qui représentent plus d’un cinquième de la superficie du pays et très proches du Rwanda et de l’Ouganda. Carte : Google Map

En novembre 2013, le M23 est dissous après des débâcles qui entraînent la fuite d’une majorité des troupes en Ouganda et au Rwanda. Le gouvernement prévoit à nouveau d’intégrer les combattants qui se démobilisent à l’armée régulière.

Mais depuis fin 2021, les combats ont repris alors que l’Ouganda intervenait sur le territoire congolais pour combattre un autre groupe rebelle. Mieux organisé qu’en 2013, le M23 défait l’armée dans une partie du Nord-Kivu.

Pillages, vols, viols et exécutions reprennent et des milliers de personnes fuient. Les FARDC s’associent au groupe armé Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) pour combattre le M23. Or, ce groupe rebelle, qui sévit au Rwanda, représente une menace pour Kigali, et le soutien de Kinshasa est vu comme un affront.

Comme si l’histoire se répétait le Rwanda est à nouveau accusé de soutenir logistiquement, militairement et politiquement le M23, ce qu’attestent Human Rights Watch et un groupe d’experts des Nations Unies. Kigali continue de nier, tandis que plus d’un million à avoir quitté le Nord-Kivu depuis la reprise des affrontements, selon Médecins sans frontière

Sur la scène diplomatique, le président congolais, Félix Tshisekedi, et son homologue Paul Kagame s’accusent mutuellement de non-respect des frontières, et d’ingérence. Le 23 mai, Kinshasa dépose plainte contre la coalition entre l’armée rwandaise et le M23 devant la Cour pénale internationale. Si le Rwanda a historiquement des raisons de venir en aide aux Tutsi congolais, qui sont décrits comme persécutés, ses intérêts  sont nombreux.

Un conflit plus politique que militaire

La région du Nord-Kivu est, certes, l’objet de convoitises économiques mais la crise est surtout politique. Le soutien au M23  permet en effet au pays de mener des incursions contre les rebelles du FDLR. Toutefois, le soutien au M23 achève d’isoler diplomatiquement le Rwanda, surtout depuis qu’un rapport de l’ONU atteste des relations entre Rwanda et M23. 

La France a expressément demandé que cesse le soutien, un ton qui surprend au vu du rapprochement entre l’Hexagone et Kigali ces dernières années. Un autre poids lourd de la diplomatie occidentale, les États-Unis, ont dénoncé à plusieurs reprises les liens entre le groupe rebelle et l’armée rwandaise. Le Royaume-Uni reste discret sur la question puisqu’il garde des intérêts importants au Rwanda.C’est avec ce pays que le gouvernement britannique a signé un accord de relocalisation des demandeurs d’asile arrivés illégalement sur son sol.

D’un point de vue régional, la Communauté des États d’Afrique de l’Est (CEA), médiatrice privilégiée du conflit qui a déployé une force militaire, et l’Union africaine (UA) se montrent incapables de régler le conflit ou tout du moins d’apaiser les tensions. 

Le manque de position unanime et ferme face à la situation rend impossible la prise de décision. La même chose se passe à l’échelle internationale, l’ONU est présente en RDC depuis 1999, sans parvenir à calmer la situation. Avec pas moins de 16 000 militaires, la Monusco ne parvient pas à engager un processus de paix entre les différentes parties, sans doute parce que le conflit est plus politique que militaire.  La situation fait craindre le pire : la ville de Goma, capitale du Nord-Kivu qui compte plus d’un million d’habitants, est encerclée par les troupes du M23. Elle pourrait tomber aux mains du groupe dans les prochaines semaines.

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