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Corée du Sud

Les médecins en grève contre lA réforme

Des médecins participent à une manifestation à Séoul, le 3 mars 2024, contre le projet du gouvernement d’augmenter le quota annuel d’admissions dans les écoles de médecine. Photo : KIM HONG-JI/AFP

Depuis de nombreuses années, les habitants de Corée du Sud se plaignent d’un manque de médecins dans des domaines importants comme la pédiatrie ou la gynécologie. Le président actuel, Yoon-Suk-yeol souhaite résoudre ce problème par l’augmentation d’étudiants en médecine. Cela fait plusieurs mois qu’il se heurte au refus des médecins.
Par Juliette Huvet et Inès Figuigui
Depuis le 20 Février, la Corée du Sud fait face à une grève des médecins et des internes qui s’opposent fermement à la réforme lancée par Yoon Suk-yeol, le président du pays. Celle-ci vise à accroître de 2 000 le nombre de places disponibles dans les écoles de médecine d’ici 2025, ce qui représente une augmentation de 65 % par rapport aux chiffres actuels.  Les médecins et les étudiants en médecine soutiennent que l’augmentation de ce quota entraînerait une baisse de la qualité des soins.

Cette crainte a déclenché une grève ou plutôt la démission de plus de 90 % des 13 000 médecins résidents en mars 2024. Les grèves sont pourtant interdites dans le corps médical en Corée. Et le muvement dure. Deux mois après le début de la grève des médecins, les hôpitaux restent paralysés.

Suite à sa défaite aux élections législatives, le week-end du 20 avril, le gouvernement a proposé un compromis pour mettre fin au mouvement social. L’Association médicale coréenne a rejeté cette proposition car elle refuse une augmentation du nombre d’étudiants en médecine. Dans un système de santé géré à 90 % par des groupes privés, avoir davantage de médecins risque d’entraîner plus de compétitivité.

En Corée du Sud, les soins hospitaliers sont pris en charge à hauteur de 80 % par le NHI (programme d’assurance santé nationale), et un reste à charge d’environ 20 % pour le patient. Mais ce coût dépend aussi des services. Le reste à charge peut monter jusqu’à 60 % en fonction du lieu où il décide se faire traiter.

 

Les médecins coréens reçoivent chacun beaucoup plus de patients que dans les autres pays. Réalisé par Inès Figuigui/EPJT

Le pays dispose également d’assurances privées complémentaires, nécessaires pour couvrir les coûts supplémentaires élevés. Il n’y a pas de procédure spécifique pour consulter des médecins spécialistes. Il n’y a pas de système de médecin référent obligatoire, ce qui conduit à une surconsommation de soins spécialisés non nécessaires. Pour les soins de tous les jours, en fonction du lieu de résidence, il existe généralement des cliniques de santé locales.

Même si, en 2017, selon l’OCDE, 73 % des médecins sont spécialistes, ils n’ont pas tous les mêmes revenus. Les domaines essentiels comme la médecine interne, la chirurgie générale, l’obstétrique et la pédiatrie souffrent d’une grave pénurie de candidats, car ils sont physiquement exigeants pour les médecins et ne rémunèrent pas aussi bien. Un traitement dentaire en Corée coûte en moyenne 13 000 wons (environ 9 euros), soit dix fois moins qu’au Japon ou qu’aux États-Unis. En France, le coût minimum est de 25 euros.

Une clinique pédiatrique sur 10 ferme ses portes

Ces différences ont un impact sur le choix des étudiants et donc sur le monde médical. Au premier semestre 2024, 38 hôpitaux universitaires sur 50, soit 76 %, ne disposaient pas d’un seul pédiatre, selon le ministère de la Santé et de la Protection sociale. Mais 99 étudiants en médecine ont postulé pour 66 postes de spécialiste en dermatologie au premier semestre de cette année avec un taux de candidature de 150 %, juste derrière l’ophtalmologie (170 %) et la chirurgie plastique (157 %).

Une clinique pédiatrique sur dix à Séoul a fermé ses portes au cours des cinq dernières années, selon un récent rapport publié par le Service d’examen et d’évaluation de l’assurance maladie. Les traitements couverts par le NHIS (Service national d’assurance santé), dont la pédiatrie fait partie, ont des prix définis. Les médecins ne peuvent pas les modifier.  En revanche, les cliniques dermatologiques proposent des traitements non couverts par le Service national d’assurance maladie et permettent aux médecins de fixer leurs prix en fonction des tarifs du marché, sans plafond.

En 2019, un médecin urgentiste est décédé d’une crise cardiaque dans son cabinet. Sa mort met en lumière le travail harrassant des urgences

Les médecins dans des domaines essentiels tels que la médecine interne, la chirurgie, l’obstétrique et la gynécologie soulignent les défis financiers liés à la poursuite de leur carrière. Le contraste est frappant avec leurs confrères dans les domaines plus lucratifs comme la dermatologie et la chirurgie esthétique. Les dermatologues, par exemple, gagnent 10 millions de won par mois avec des horaires de seulement trois jours par semaine selon les rapports locaux.

De nombreux médecins généralistes se reconvertissent donc dans la dermatologie. Parmi les 979 cliniques ouvertes par les médecins généralistes entre 2018 et 2022, 86 % étaient des cliniques de dermatologie, selon le Service d’examen et d’évaluation de l’assurance maladie. Ceux qui restent dans leur domaine, essentiels à la santé, meurent de surmenage.

Le 25 mars, un ophtalmologiste sud-coréen, qui partageait la charge de travail au service des urgences de l’hôpital universitaire national de Pusan, ​​serait mort d’épuisement. Il travaillait la nuit et faisait des opérations chirurgicales d’urgence en remplacement des médecins grévistes. En 2019, le médecin urgentiste Yoon Han-deok est décédé d’une crise cardiaque dans son cabinet. Sa mort a mis en lumière les conditions de travail difficiles auxquelles sont confrontés les personnels médicaux d’urgence.

La réforme est critiquée en Corée du Sud car incomplète. Elle ne règle aucun problème et en crée de nouveaux. Même s’il y aura un afflux d’étudiants en médecine, ceux-ci pourront toujours choisir de se spécialiser dans des médecines plus lucratives et délaisser les secteurs en souffrance. Par contre, elle augmenterait la concurrence dans ces secteurs lucratifs.

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