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Nouvelle-Calédonie

Le pari de l’indépendance

Créé dans le cadre des accords de Matignon, le Centre culturel Tjibaou a pour mission de promouvoir le patrimoine culturel kanak et de développer la création artistique kanak. Photo : Gérard/Flickr

Le référendum du 4 octobre, qui a vu le « non » l’emporter sur la question de l’indépendance, et les tensions autour du nickel ravivent l’antagonisme entre loyalistes Caldoches et indépendantistes Kanaks. Ce qui fait craindre la résurgence des événements violents des années quatre-vingt.
Les Rattrapages de l’actu reviennent sur l’histoire et les enjeux de ces événements.

 

Par Camille Granjard et Azélys Marin
Le 4 octobre dernier, à la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante », le non l’a emporté avec 53,23 % des voix contre 46,74 % pour l’indépendance.

L’écart entre les deux camps s’est réduit de trois points entre le premier référendum de novembre 2018, et celui d’octobre 2020. Une différence qui représenterait 10 000 votants. Si les indépendantistes progressent encore, ils pourraient donc l’emporter lors d’un troisième référendum prévu pour 2022. La question est au cœur des discussions sur l’archipel calédonien, où le taux de participation a battu tous les records cette année.

Désormais les deux camps convergent vers la nécessité d’inscrire dans l’Accord de Nouméa, le destin de la Nouvelle-Calédonie. Il n’est plus question de confronter le camp adverse. Une avancée majeure pour l’histoire de ce territoire marqué par les violences postcoloniales mais remise en cause par les dissensions autour du nickel.

En effet, le camp loyaliste est favorable au rachat de l’entreprise minière Vale NC, adossée au gigantesque gisement de nickel de Goro par un consortium mené par le suisse Trafigura et un pôle institutionnel provincial. Les indépendantistes, eux, souhaitent une prise en main de l’entreprise par l’Etat afin de garantir l’indépendance économique en cas de victoire au troisième (et dernier) référendum prévu en 2022.

Carte de la Nouvelle-Calédonie. Carte : Sénat

La Nouvelle-Calédonie est un archipel situé dans l’océan Pacifique Sud à plus de 16 000 kilomètres de la métropole. C’est en 1853, sous le règne de Napoléon III, que la France prend possession de l’archipel dans l’optique d’y créer un bagne. Les prisonniers sont mis à contribution pour cultiver les terres. Les habitants de métropole sont encouragés, quant à eux, à s’y installer et se voient attribuer gracieusement des parcelles de terrain. En 1864 la découverte du nickel, un métal indispensable à la confection de la monnaie, permet le développement d’une industrie lucrative. L’archipel devient alors le septième plus gros producteur mondial.

Les Kanaks, qui ont été spoliés d’une grande partie de leurs richesses à l’arrivée des colons français, sont peu à peu minoritaires en Nouvelle-Calédonie. Mais ils continuent de songer à un autre avenir pour leurs îles. Dans les années soixante, le mouvement de décolonisation est général : Asie, Afrique, Antilles. La Nouvelle-Calédonie n’est pas en reste et les premières révoltes se font jour.

Pour toute réponse, l’État restreint les mesures d’autonomie accordées au cours des années soixante. Il assouplit à nouveau sa tutelle en 1976. Mais la situation politique devient rapidement délétère. L’Assemblée territoriale est alors dissoute en mai 1979 et les mouvements indépendantistes s’unissent sous la bannière du Front indépendantiste. Ils souhaitent toujours accéder à l’indépendance mais par le biais des institutions.

En 1986, l’arrivée de Jacques Chirac, Premier ministre de la cohabitation, et de Bernard Pons, ministre des DOM-TOM, signe un durcissement de la politique française vis-à-vis des indépendantistes

Suite à l’assassinat de Pierre Declercq, le secrétaire général de l’Union calédonienne, le 19 septembre 1981, des manifestations éclatent. Dans la foulée, les élections territoriales permettent à la coalition indépendantiste de décrocher 14 sièges sur les 36. En 1982 quatre de ses membres intègrent le Conseil de gouvernement. La majorité à l’Assemblée territoriale est renversée.

Sur le territoire de la Métropole, c’est le retour de la droite aux affaires en 1986. Jacques Chirac, alors Premier ministre de la cohabitation, place Bernard Pons au ministère des départements et territoires d’Outre-mer (DOM-TOM). Cette arrivée conjointe au pouvoir signe le durcissement de la politique française vis-à-vis des indépendantistes. Les compétences des quatre Conseils de région sont réduites et la redistribution des terres est redéfinie sur la base de la propriété privée, non plus du domaine coutumier.

Un référendum sur la question de l’indépendance est enfin prévue, mais la participation est restreinte aux seuls habitants qui peuvent justifier de trois ans de résidence sur l’archipel. En parallèle, la surveillance militaire des tribus s’intensifie.

Un scrutin boycotté

Le premier référendum débouche sur le rejet de l’indépendance car le scrutin est boycotté par le Front de Libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), qui remplace le Front indépendantiste récemment dissout. Tout de suite après la tenue du vote, Jacques Chirac annonce le Statut Pons II qui consiste à renforcer le pouvoir des régions, en cohésion avec les différentes forces politiques en présence. La création de quatre collectivités, Est, Ouest, Sud et Îles Loyautés est prévu. Mais les indépendantistes refusent d’adhérer aux institutions prévues par le statut Pons II, d’autant que les violences à leur encontre sont légion. Les interpellations de militants se multiplient et Léopold Dawano, 17 ans, décède lors d’une opération de gendarmerie.

Les élections présidentielles et territoriales de 1988 sont, de nouveau, boycottées. Un blocage qui amorce le début des « Événements ». Une série d’affrontements entre radicaux des deux camps politiques et qui débouchera sur une déclaration unilatérale d’indépendance. Mais aussi l’attaque d’une gendarmerie sur l’île d’Ouvéa. Le bilan, quatre gendarmes tués. D’autres sont pris en otage et emmenés dans la grotte Wateto, à Gossanah, dans le nord de l’île d’Ouvéa

Le 5 mai 1988, entre les deux tours de la présidentielle, l’armée donne l’assaut. Les otages sont libérés mais 19 Kanaks et deux militaires seront tués. L’archipel est au bord de la guerre civile.

François Mitterrand remporte la présidentielle et dissout l’Assemblée nationale. La gauche revient donc au pouvoir avec Michel Rocard en tant que Premier ministre. Le 20 mai, une mission gouvernementale arrive à Nouméa. Des discussions politiques s’engagent, en particulier avec Jean-Marie Tjibaou, président du FLNKS, et Jacques Lafleur, dirigeant du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR). Début juin, une solution politique s’esquisse autour de l’idée d’un référendum national destiné à adopter un statut sur-mesure pour la Nouvelle-Calédonie. Les Accords de Matignon seront signés le 26 juin 1988.

Redéfinition du corps électoral

Le texte sera précisé par l’Accord de Nouméa en 1998. Celui-ci instaure une paix durable par l’organisation du transfert de certaines compétences de l’État français vers la Nouvelle-Calédonie.

Il ouvre la voie à une période de transition censée déboucher sur l’autodétermination progressive de la Nouvelle-Calédonie. Plusieurs échéances sont prévues, dont des consultations populaires à partir de 2018. Le texte reconnaît dans son préambule que « la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d’origine » et instaure trois référendums sur l’indépendance.

Les accords de Matignon et l’accord de Nouméa ont considérablement redéfini la composition du corps électoral. Ces textes ont exclu certains habitants des scrutins qui se tiennent sur le territoire. L’idée étant de contrebalancer la politique d’émigration instaurée pendant la colonisation. Celle-ci ayant pour effet d’augmenter le nombre d’habitants venus de la métropole, au détriment des natifs sous-représentés dans la vie politique.

Trois corps électoraux coexistent en Nouvelle-Calédonie : le corps électoral de droit commun (la LEG), un corps électoral restreint pour les élections au congrès et aux assemblées de province (la LESP) et le corps électoral spécial pour la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à l’indépendance (la LESC). Le droit de vote des habitants de la Nouvelle-Calédonie peut donc être limité en fonction de leur date d’arrivée sur le territoire ou de leur durée de résidence.

La Nouvelle-Calédonie a hérité de compétences traditionnellement dévolues à l’État français, comme le commerce extérieur, le droit et l’inspection du travail, l’enseignement primaire et secondaire ainsi que la réglementation sur le nickel principale ressource de l’archipel.

Plus précisément, l’accord de Nouméa met en place un gouvernement composé de cinq à onze membres dont un président élu par le congrès, anciennement nommée l’assemblée territoriale. Le congrès est une assemblée délibérante composée de cinquante-quatre membres élus directement par les citoyens néo-calédoniens. Le président de ce congrès doit être issu de l’une des assemblées des trois provinces et son mandat est renouvelé tous les cinq ans au suffrage universel direct.

Un sénat et d’autres conseils coutumiers et consultatifs sont aussi institués. Ils sont chargés de sauvegarder et de défendre les intérêts de la population kanak. Le sénat coutumier, une institution ethnicisée, a été créée afin de traiter des questions relatives à la population kanak. L’État français est représenté par un haut-commissaire de la République, nommé par le président en exercice. Ces fonctions sont similaires à celles d’un préfet : maintien de l’ordre public et protection de la population.

Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en un coup d’œil. Infographie : gouvernement de Nouvelle-Calédonie

Les fonctions régaliennes (justice, défense, sécurité et gestion de la monnaie) sont conservées par l’État central. La Nouvelle-Calédonie est représentée au parlement français par deux députés et deux sénateurs.

La construction de l’autonomie réelle de la Nouvelle-Calédonie a achoppé plusieurs fois sur l’identité fluctuante de l’archipel. Le territoire est régi par des dispositions censées être transitoires et dérogatoires. Pour un État unitaire comme la France, la Nouvelle-Calédonie se présente donc comme une véritable exception juridique. Les normes législatives sont en effet émises par le congrès, soit une instance propre au territoire.

De fait, la Nouvelle-Calédonie possède des lois qui lui sont spécifiques et peut aussi légiférer. La création d’une citoyenneté néo-calédonienne qui repose sur l’inscription sur les listes électorales du référendum de 1998 et la justification de dix années de résidence pousse encore plus loin le caractère inédit de l’administration de ces îles. Ce droit du sol figé a permis d’écarter les nouveaux arrivants débarqués après la consultation et de limiter l’octroi de la citoyenneté depuis le 8 novembre 2008. Une forme de discrimination positive visant à favoriser l’emploi des citoyens de la Nouvelle-Calédonie a également été mise en place.

Colonie française jusqu’en 1946, territoire d’outre-mer puis collectivité sui generis (de son propre genre) d’Outre-mer, la Nouvelle-Calédonie a vu son statut juridique évolué au fil de l’histoire. Ses habitants aussi puisque l’égalité entre Kanaks et Caldoches est le fruit d’un long et difficile processus de reconnaissance des droits et libertés civils.

À l’occasion du second référendum, 174 154 électeurs calédoniens ont été appelés à s’exprimer sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Parmi eux, 80 120 Kanaks qui détiennent un statut civil issu du droit coutumier.

Prochaine étape vers l’indépendance : un troisième référendum prévu par l’Accord de Nouméa dans son article 5. « Si la réponse des électeurs à ces propositions est négative, le tiers des membres du congrès pourra provoquer l’organisation d’une nouvelle consultation qui interviendra dans la deuxième année suivant la première consultation. »

La question de l’indépendance pourrait de nouveau se poser et en des termes identiques, courant 2022, année de l’élection présidentielle. Au moment où les dispositions constitutionnelles transitoires, qui organisent la vie politique de la Nouvelle-Calédonie, prendront fin.

Les conditions d’inscription sur la liste électorale spéciale impliquent que l’essentiel des nouveaux inscrits soient de jeunes natifs de la Nouvelle-Calédonie. Ces nouveaux entrants dans le corps électoral pourraient donc faire pencher la balance en faveur de l’indépendance. Mais quid des abstentionnistes qui restent à convaincre.

L’enjeu de l’indépendance

L’indépendance de la Nouvelle-Calédonie tient au fait de sécuriser la situation du territoire sur le plan du développement humain mais aussi économique et politique.

Du côté de l’État français, il s’agit de sauvegarder l’indivisibilité de la République et de son aptitude à mener à bien le processus d’autonomisation d’une ancienne colonie. La tâche est ardue à l’heure où les revendications sont nombreuses quant au lourd tribut payé par les populations colonisées, tant en ressources naturelles qu’humaines. La situation est aussi de première importance pour la géopolitique française. Elle a justifié l’intervention solennelle d’Emmanuel Macron dès le lendemain du second référendum et la mise en place d’une mission exceptionnelle confiée à Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer.

À l’image des différentes volontés indépendantistes qui se sont exprimées sur la scène internationale ces dernières années, la situation de la Nouvelle-Calédonie soulève des interrogations. La répartition presque à égalité des voix entre pro et anti-indépendance mène inéluctablement vers une majorité faible, quel que soit le résultat final. Comme pour le Brexit, cette légère majorité risque d’être fortement remise en cause.

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