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Réviser une condamnation

Une épreuve longue et incertaine

La Cour de révision se réunit au cœur du palais de Justice de Paris, situé sur l’île de la Cité. Les membres du collectif de soutien à Mis et Thiennot se sont souvent réunis devant ses grilles. Photo : CC

A ce jour, seulement douze condamnations aux assises ont été reconnues comme des erreurs judiciaires en France. Le dossier Mis et Thiennot, jugé recevable par la commission d’instruction de la Cour de révision le 5 octobre dernier, pourrait devenir la treizième.

 
Par Marie-Camille Chauvet et Edgar Ducreux
Une affaire vieille de soixante-treize ans vient d’être remise à l’agenda de la justice française. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, Raymond Mis et Gabriel Thiennot, deux jeunes chasseurs, sont accusés puis condamnés dans le meurtre d’un garde chasse. Ils clament leur innocence pendant les décennies qui suivent. À leurs morts, leurs proches les relaient dans ce combat judiciaire et n’ont de cesse de réclamer la révision du procès. Ils obtiendront peut-être gain de cause dans les mois à venir puisque la commission d’instruction de la Cour de révision a jugé le dossier Mis et Thiennot recevable. Il se pourrait donc que les condamnations de deux hommes soient révisées à titre posthume.

Ce n’est pas une mince affaire que d’obtenir la révision d’un procès pénal en France. Il faut des circonstances précises. L’ordonnance du 26 août 1670 envisageait déjà cette hypothèse mais il a fallu attendre la fin du XIXe siècle pour que la procédure de révision soit consolidée, concomitamment à la stabilisation de la République.

Depuis la révision du procès aux assises de Jean Deshays en 1955, onze autres condamnations criminelles ont été révisées en France. La Cour de révision et de réexamen, attachée à la Cour de cassation, est chargée de ces révisions depuis 2014. Elle avait alors pris la relève de la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Réalisation : Edgar Ducreux

Le condamné – ou ses proches en cas d’absence déclarée ou de décès –, le ministre de la Justice ou encore les procureurs généraux sont autant de personnes qui ont la possibilité de demander la révision d’un procès pénal. Celui-ci peut être révisé s’il a reconnu un accusé ou un prévenu coupable d’un crime ou d’un délit.

La demande en révision est d’abord déposée à la commission d’instruction des demandes en révision et en réexamen, qui se prononce sur sa recevabilité. Elle peut rejeter la demande ou saisir la Cour de révision. Pour trancher, la commission analyse les faits nouveaux susceptibles de modifier la décision de culpabilité.

Une fois saisie, la Cour de révision est amenée à se prononcer. Si elle estime ne pas avoir assez d’éléments pour réviser l’affaire en question, la cour peut ordonner un supplément d’information, tâche qu’elle confie à l’un ou plusieurs de ses dix-huit membres, tous issus de la Cour de cassation. Une fois qu’elle estime l’affaire en état d’être jugée, une audience publique est organisée. Les observations du requérant ou de son avocat et du Ministère public sont recueillies.

 Les réhabilitations restent rares

La Cour de révision rend un arrêt motivé (elle justifie sa décision), et non susceptible de recours (un appel ou un pourvoi n’est pas possible). Si elle estime la demande fondée, la cour annule la condamnation.

Les réhabilitations restent rares. Parmi les douze révisions, celles de Christian Iacono, ancien maire de Vence (Alpes-Maritimes), condamné pour viol sur son petit-fils, et de Marc Machin, condamné à 18 ans de réclusion criminelle pour meurtre, ont particulièrement marquées les chroniques judiciaires.

Le rapport 2020 de la Cour de cassation relève que, pour cette seule année, 123 décisions ont été rendues par la commission d’instruction, dont 117 d’irrecevabilité. Trois arrêts rendus en correctionnel ont été annulés. Trois affaires restaient à être jugées par la Cour de révision. Quarante-quatre demandes de révision d’affaires criminelles ont été déclarées irrecevables. Les barrières à la révision sont donc nombreuses et il est très compliqué pour les condamnés d’atteindre leur objectif. Cette rareté peut être expliquée par les difficultés à rassembler les preuves nécessaires, mais aussi par une justice réticente à revenir sur ses décisions définitives.

L’affaire Mis et Thiennot est la dernière saisine en date de la Cour de révision, le 5 octobre dernier. Elle replonge la justice dans une affaire qui a jalonné la deuxième partie du siècle dernier.

Réalisation : Marie-Camille Chauvet/EPJT

Soixante-treize ans de combat qui ont donc abouti grâce à la réforme législative de 2021. Ce qu’elle a apporté ? Il est désormais permis de remettre en cause certaines pièces d’un dossier lorsque la condamnation résulte d’aveux obtenus sous la contrainte physique. Ce qui était le cas dans cette affaire. Le 5 octobre 2023, après l’annonce de la commission d’instruction de la Cour de cassation de saisir la cour de révision, Thierry Thiennot, fils de l’un des deux condamnés, s’émeut : « Nous ne sommes plus qu’à une marche de la victoire. »

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