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Sexisme aux César

Une évolution qui piétine

Photomontage de la totalité des nommés de la 48e cérémonie des Cesar. Photo : Natsumi Grandpierre, Charlotte Heulland, Elie Koaho, Emma Lopez, Caroline Sénécal – ENS Louis Lumière pour l’Académie des César 2023

Ce soir, 24 février, aura lieu la 48e cérémonie des César. Après #MeToo et les polémiques autour du César attribué à Roman Polanski en 2020, comment l’Académie évolue-t-elle face aux reproches qui lui ont été faits ?

Par Fanny Uski-Billieux et Maylis Ygrand

« Toujours plus fort. Les César, encore à la pointe de l’entre-soi masculin du cinéma », tweete le 25 janvier 2023 Alice Coffin, conseillère de Paris et militante féministe, en réaction à la liste des nommés pour le César de la meilleure réalisation de 2023. Cette année, en effet, aucune femme n’est nommée. Cinq ans après la déflagration #MeToo et trois ans après le « on se lève et on se barre » de Virginie Despentes saluant la départ d’Adèle Haenel de la 45e cérémonie, on peut se demander si la situation a vraiment évolué.

Chaque année, environ un mois avant la Cérémonie des César, l’Académie organise le dîner des Révélations. Chacun des jeunes acteurs ou actrices nominés doit participer accompagné d’un parrain ou d’une marraine. Or le 13 janvier 2020, quelques heures avant le fameux dîner, la Société des réalisateurs de films (SRF) affirme dans un tweet que l’Académie a refusé la présence de deux marraines choisies par deux jeunes comédiens : Virginie Despentes et Claire Denis. La SRF dénonce un « un grave problème de fonctionnement au sein de l’organisation de l’Académie des César ».

Dans une tribune publiée le 10 février 2020 dans le journal Le Monde, 400 personnalités s’insurgent et réclament plus de démocratie au sein de l’Académie. Les signataires dénoncent entre autres l’opacité des finances, le manque de diversité au sein de l’Académie et le mode de sélection des membres. Des reproches faits de longue date à l’Académie. A son président, le producteur Alain Terzian, installé à la tête de l’institution depuis dix-sept ans, on reproche une direction autocratique.

Dans les faits, c’est l’Association pour la promotion du cinéma (APC) qui chapeaute l’Académie des arts et techniques du cinéma plus communément appelée Académie des César. L’APC gère, entre autres, le mode d’admission des membres de l’Académie, les critères d’éligibilité des personnes et des œuvres…

Cette association rassemble 47 professionnels du cinéma, cooptés à vie par leurs pairs ou ayant décroché un Oscar. Un fonctionnement qui se veut ressemblant à celui de l’Académie française, avec le défaut similaire : la participation des femmes est réduite à sa portion congrue. Sur 47 membres, 39 hommes.

Dans la catégorie meilleure réalisation, les femmes sont huit fois moins nommées que les hommes. Quand elles le sont, elles ont moins de chance d’obtenir une récompense que les hommes. En trente-six ans d’existence, une seule femme, Tonie Marshall, a remporté le César de la meilleure réalisation. Infographie : Fanny Uski-Billieux/EPJT.

Trois jours après la publication de la tribune, la direction de l’Académie démissionne. C’est un premier tournant dans l’histoire du cinéma français.

Le second aura lieu deux semaines plus tard, lors de la 45e cérémonie, quand le César de la meilleure réalisation est attribué à Roman Polanski, pour son film J’accuse. Le réalisateur de 86 ans est accusé de viols et d’agressions sexuelles par douze femmes. L’actrice Adèle Haenel, elle-même victime d’agression sexuelle alors qu’elle était toute jeune actrice, quitte, indignée, la cérémonie. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #CesarDeLaHonte fait rage et confirme la nécessité pour l’Académie de se renouveler.

Afin de répondre aux critiques, le 9 juillet 2020, de nouveaux statuts sont votés. En novembre 2020, l’existence des membres de droit (dont Polanski faisait encore partie) est supprimée. Désormais, l’assemblée générale de l’APC est composée de 164 membres, soit 82 femmes et 82 hommes, élus par les membres de l’Académie. Petit à petit, cette dernière détricote certaines règles prônant l’entre-soi et s’applique à apporter plus de démocratie interne et de parité à tous les étages.

Un angle mort demeure cependant : le collège des votants. Pour en faire partie il faut candidater et être parrainé par deux membres de l’Académie. On reste dans le système de cooptation et donc dans l’entre-soi jusqu’ici dénoncé. Pourtant, les votants jouent un rôle primordial. Ils ont pour mission de déterminer les listes des nommés dans chaque catégorie, grâce à un premier tour. Puis, par un second vote, ils choisissent les lauréats. En 2023, le collège des votants est constitué de 4 705 électeurs, dont 44 % de femmes. Pas tout à fait la parité.

A quelques mois de la 48e cérémonie, alors que l’on croyait les tensions apaisées, l’affaire Sofiane Bennacer, acteur de 25 ans à l’affiche du film Les Amandiers, de Valeria Bruni Tedeschi, replonge l’Académie dans la tourmente.

Le comédien, présélectionné pour le César de la révélation masculine par le comité (alors au courant des rumeurs d’agressions sexuelles à son propos), a finalement été exclu de la liste après la révélation par Le Parisien de trois mises en examen le concernant : deux pour viol sur des anciennes compagnes et une pour violence sur conjoint.

A la suite de ces révélations, l’Académie des César décide le lundi 2 janvier 2023 de mettre en retrait les personnes mises en cause « pour des faits de violence ». Cette règle ne s’applique que pour la cérémonie du 24 février. Qu’en sera-t-il dans le futur ?

Car pour le moment, rien n’empêche les personnes accusées d’agressions sexuelles (ou d’autres crimes ou délits) de concourir et de remporter un César comme l’a fait Roman Polanski en 2020.

Autre problème, et pas des moindres, la sélection, exclusivement masculine on l’a vu, pour le prix de la meilleure réalisation. Pourtant, le cinéma français ne manque pas de réalisatrices de talent ayant sorti un film durant l’année de référence. Le prix Alice-Guy, décerné depuis 2018 par un jury issu du monde du cinéma, a récompensé Alice Winocour du prix de la réalisatrice de l’année pour Revoir Paris. Et les Cléopâtre, lancés par le magazine Causette en réponse à la sélection des César, ont récompensé Alice Diop pour Saint-Omer (prix du Premier film à la Mostra de Venise) et Rebecca Zlotowski pour Les Enfants des autres.

Il serait temps que le cinéma français veuille bien enlever ses œillères concernant l’apport des femmes au 7e art et apporter une réponse claire aux violences dont elles peuvent être les victimes.

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