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Turcs et Kurdes

L'impossible réconciliation
Le 26 décembre 2022, à Paris, des manifestants rendent hommage aux trois assassinés rue d’Enghien et aux trois militantes kurdes tuées en 2013. À la suite de ces meurtres, le parquet national antiterroriste a décidé de ne pas ouvrir d’enquête. Photo : Julien De Rosa/AFP

En conflit permanent avec la Turquie, les Kurdes militent depuis des décennies pour faire valoir leurs droits. L’attentat qui a eu lieu en décembre 2022, à Paris rappelle à quel point une issue au conflit turco-kurde semble difficile.

 

Par Zineb El Ouadi et Anne-France Marchand
Vendredi 23 décembre 2022, une attaque devant le centre culturel kurde Ahmet-Kaya à Paris fait trois morts et plusieurs blessés. Le président Emmanuel Macron dénonce une « odieuse attaque » dont les motivations exactes restent à éclaircir.

L’enquête révèle l’identité de l’assaillant, William Madet, un retraité de 69 ans. Il a déclaré, en garde à vue, avoir ouvert le feu en raison de « sa haine des étrangers ». Mais de nombreux Kurdes refusent de croire à la version d’un tireur raciste : ils dénoncent un acte terroriste et mettent en cause la Turquie.

Cette attaque fait écho à l’assassinat, en 2013, de trois militantes kurdes dans le 10e arrondissement de Paris. Les services de renseignements d’Ankara sont soupçonnés d’être impliqués dans l’attaque de la rue d’Enghien, comme dix ans auparavant.

Diaporama : Zineb El Ouadi/EPJT et Anne-France Marchand/EPJT

Les Kurdes vivent dans quatre pays du Moyen-Orient : l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie. Ils sont entre 30 et 40 millions de personnes et pourtant ils sont sans État. C’est le plus grand peuple apatride du monde.

La présence des Kurdes dans la région remonte à l’Antiquité. Ils se présentent comme les héritiers des Mèdes, un peuple iranien établi dans le nord-ouest de l’actuel Iran, au VIIe siècle avant J.-C.

Bien que répartis dans quatre pays, les Kurdes ont de nombreux points communs. Ils sont majoritairement de confession musulmane sunnite, partagent une culture et une identité ethnique et parlent une langue commune. Mais ils ne sont jamais parvenus à créer une unité politique et, par conséquent, leur État.

L’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie s’opposent à la naissance d’un État kurde. S’il existait, il les amputerait d’une partie de leurs territoires nationaux. Mais ils ne sont pas non plus favorables à leur présence sur leur territoire. Leur religion, leur culture, leur langue et leur histoire ne sont pas acceptées.

Résultat, les Kurdes sont persécutés et leurs velléités d’indépendance sont réprimées par les autorités de ces pays. Les relations avec la Turquie en particulier ont été au fil des siècles révélatrices des tensions.

Carte interactive : Zineb El Ouadi/EPJT et Anne-France Marchand/EPJT
Les premières oppositions entre les Turcs et les Kurdes débutent dès le XVIe siècle. Les principautés kurdes autonomes sont intégrées à l’empire ottoman, ancêtre de la Turquie. En 1918, à la fin de la Première Guerre mondiale, l’empire est vaincu et démantelé.

La possibilité d’un État kurde indépendant est évoquée en 1920 dans le Traité de Sèvres – qui dissout l’empire ottoman. Mais, faute de ratification, le Kurdistan autonome ne verra pas le jour. En 1923, le Traité de Lausanne abandonne toute velléité d’un territoire kurde souverain. Il dessine aussi de nouvelles frontières à la Turquie qui intègre une majorité de la population kurde.

Deux ans plus tard, Mustafa Kemal, alors président de la Turquie, instaure un gouvernement laïc et autoritaire dans son pays et fait du nationalisme turc une des pierres angulaires de son régime. Kemal voit la coexistence de différentes nationalités ou ethnies comme une faiblesse. Il impose une politique d’assimilation forcée à toutes les minorités. La langue kurde est interdite dans les écoles, des populations sont déplacées. De nombreuses révoltes éclatent, réprimées dans le sang.

Elles perdureront après la mort de Mustafa Kemal. En 1978, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) est créé. L’objectif de cette organisation politique est de défendre les droits des Kurdes et de créer le Kurdistan par la lutte armée. Le parti est considéré comme une organisation terroriste par la Turquie.

Timeline : Zineb El Ouadi/EPJT et Anne-France Marchand/EPJT
Le 14 mai 2023, les Turcs devront élire leur président. Dans la course : Recep Tayyip Erdoğan, actuel dirigeant de la Turquie. Contesté, il lui faudrait attirer les voix de l’opposition qui serait sensible à un discours nationaliste et antikurde. Une stratégie déjà mise en œuvre lors des élections législatives en 2015. Erdoğan avait relancé la lutte contre le parti kurde pour rallier l’opinion publique à sa candidature.

Les attaques terroristes du PKK avaient fortement augmenté entre les deux tours des élections, ce qui avait permis aux autorités turques de mettre en avant un discours sécuritaire et nationaliste. Finalement, cette stratégie lui avait profité puisqu’il avait obtenu la majorité.

Il est probable qu’Erdoğan ait envisagé de recommencer la manœuvre pour la prochaine élection. Mais le séisme qui a ébranlé les territoires turcs et syriens, le 6 février, a changé la donne des suites du tremblement de terre dans son pays, Erdoğan joue son avenir politique. Réponse d’ici mai prochain.

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